C’est devenu une sorte de mantra : il faut référer à la République pour que la parole acquière force et gravité. On n’en finit plus de les entendre, ces mots, proférés la main sur le cœur et réitérés le buste bombé. Il suffirait d’ajouter « de la république » pour que le discours soit investi d’une solennité confinant à la transcendance. La police de la République, l’école de la République, l’autorité de la République, l’unité de la République, le symbole de la République… Il n’est même plus possible de dénombrer, dans les allocutions officielles comme dans les articles polémiques, les références quotidiennes à la « sacro-sainte » République pour clore, d’avance, tout débat et parer le propos d’une sorte de pureté principielle et intangible. Ce qui, curieusement d’ailleurs, contribue à doter l’idée de République d’un statut pour ainsi dire « sacré » alors même qu’elle se trouve – ces temps-ci en particulier – souvent convoquée pour une apologie de la plus rigoureuse laïcité. Mais au-delà de ce paradoxe, auquel il faudra bien faire face, sans doute est-il opportun de regarder un instant l’histoire avant de pérorer « au nom de la République ».
Ce n’est pas Marc-Antoine qui a précipité la chute de la République. Ce n’est pas le poète, l’amant de Cléopâtre, l’archaïque entier et honnête. Ce n’est pas celui qui regardait vers l’Orient, l’hellénisant, l’hôte d’Alexandrie. C’est bien Octave, son rival romain, pur et fier, calculateur et calomniateur, propagandiste sécuritaire et ambitieux, qui proclame le principat et ouvre la voie de l’Empire. Octave eut beau jeu de moquer son adversaire et de convaincre le peuple et le Sénat que Marc-Antoine était bien trop sensible aux étrangetés enjôleuses d’Égypte pour demeurer fidèle à la République de Rome. Il lui fut aisé – déjà ! – d’exhiber une tendresse de l’ailleurs comme indice d’une détestation de l’ici. Et l’amour d’Antoine pour Cléopâtre se fit, dans la rhétorique octavienne, preuve latente d’une trahison à l’hégémonique absoluité romaine.
Ce n’est pas avec le passionné, le héros de Syrie et arpenteur de l’Asie, l’homme de l’hybride et du brûlant, le sensible et le tempétueux, que la République a scellé sa chute. C’est bien plutôt avec son ennemi, Octave devenant Auguste, si puissamment et exclusivement romain, que tout bascula. C’est l’adorateur de l’ordre et le stratège de la République qui, bientôt, la démantèle subrepticement pour devenir le premier empereur d’un Occident déjà universel et autoritaire.
Les portraits ici esquissés sont sans aucun doute caricaturaux et partiaux. Mais il disent quelque chose du dévoiement intérieur. Peut-être, avant de se référer mécaniquement à une république fantasmée et divinisée, faudrait-il relire Shakespeare mettant en scène les deux héritiers de César. L’ennemi n’est pas toujours celui très évidemment désigné comme tel. Le danger est souvent protéiforme. Et la brutalité se loge toujours dans l’unilatéralité du prisme.