Burn Août (3) : Persistance auditive

Avez-vous déjà remarqué que le premier son que vous entendez le matin en vous réveillant conditionne votre humeur pour la journée à venir ?

Gazouillis d’oiseaux heureux de batifoler sous vos fenêtres ; miaulements désespérés du félin domestique affamé ; concert d’avertisseurs sonores et de pin-pon d’ambulance composant une harmonie urbaine qui ferait presque regretter le silence anxiogène des confinements successifs ; voix embrumée de l’être aimé qui vous demande d’aller sortir le chien en s’extirpant des bras de Morphée à défaut des vôtres ; musique tranquille tirée de votre playlist préférée ou imprécations mensongères et racistes de l’invité.e politique d’une matinale radiophonique… le jour qui s’annonce n’aura pas la même tonalité si en lieu et place d’un « je t’aime » matinal ou toute autre douce musique, un ton de crécelle désaccordée vous vrille les portugaises dès potron-minet.

Au sortir d’un sommeil réparateur après une nuit calme comme un jour sans nouvelles de l’Ukraine ou d’images de Gaza, tout en repoussant d’un geste volontaire des draps plus froissés que l’égo de Valérie Pécresse à l’annonce de son score à la présidentielle 2022, votre journée ne sera pas la même selon que votre cerveau imprime le 2ème mouvement de la 7ème symphonie de Beethoven plutôt que La Bonne du Curée d’Annie Cordy. Cela étant, depuis que le cuistre en chef sympathisant cathodique des heures sombres de l’histoire française a choisi l’Allegretto en la mineur du compositeur du jingle de Radio Londres pour souligner ses obsessions rances, j’avoue renâcler à l’idée de m’imposer les volutes magnifiques du célèbre sourd allemand qui a plus fait pour la musique de publicité audiovisuelle que Jean-Michel Blanquer pour le bien-être lycéen.

D’autant que le choix de cette partition pour souligner un discours emphatique était pour le moins discutable : admirateur (entre autres despotes) de Napoléon 1er et si prompt à convoquer l’histoire de France qui l’arrange, le candidat avait curieusement opté pour une œuvre composée pendant la campagne de Russie de 1812 dont la première exécution fut donnée en 1813 à Vienne lors d’un concert de charité au profit des soldats autrichiens blessés et reprise notamment dans une réclame  pour une entreprise de pompes funèbres…

L’influence des vers d’oreilles ou autres démangeaisons musicales n’est plus à démontrer. J’ai déjà eu l’occasion de parler de ce phénomène qui touche jusqu’à 99% de la population en vous narrant le cas Ravel qui est à mon avis le earworm ultime (ex-aequo avec les Quatre saisons de Vivaldi et le célèbre tube de Nadine Morano « Je ne suis pas raciste, j’ai une amie plus noire qu’une Arabe« ). Pour vous donner un exemple : c’est en chantonnant distraitement le premier couplet de La Banane de Philippe Katerine dans un moment d’égarement et d’ennui au beau milieu d’une réunion de service que je me suis dit qu’avoir écouté ce titre à peine sorti du pajot avait légèrement contribué à mon désintérêt pour le contenu du power point austère présenté ce matin-là. De la même manière, parce que j’avais programmé mon application musicale sur une playlist de musiques de films, je me souviens avoir regretté de siffloter (distraitement une fois de plus) le thème principal du Dîner de cons de Vladimir Cosma en plein repas en famille où je m’emmerdais sec, coincé entre une vieille tante grabataire du côté de ma mère et de Vierzon et un cousin idiot qui m’abreuvait de sa passion pour les cartes Pokémon et les critiques littéraires sur TikTok.

D’un point de vue moins personnel, comment ne pas constater l’influence majeure de ces premiers sons entendus à nos corps endormis défendants ? Je suis aujourd’hui convaincu que si les cadors de la France Insoumise sont en rangs si serrés derrière le retraité le plus actif de France, si les séides d’une France qui n’existent que dans leurs fantasmes ou leurs livres d’histoire réécrite, si les tenants du gaullisme qui ont dilapidé l’héritage en se parjurant à loisir sont souvent de si mauvais poil, c’est parce qu’ils ont abusé des titres entêtants qui rendent plus patelins qu’un édile en campagne ou un sénateur en soirée.

Imaginez la physionomie de la politique et des relations humaines si au lieu d’écouter en boucle des marches militaires, des chansons à boire ou de Michel Sardou (ce qui revient au même), les porte-paroles de partis se réveillaient avec Happy de Pharell Williams ou Salut à toi des Bérurier Noir. Imaginez la tranquillité qui serait la nôtre si on nous faisait grâce des mêmes litanies, à longueur d’antenne, si on nous épargnait les rengaines qui suintent la haine, les refrains rances martelés jusqu’à saturation, les couplets racistes qui feraient passer La Marseillaise pour une comptine pour enfants, imaginez que cessent ces airs immémoriaux quand il s’agit de dénoncer l’éternel coupable idéal qui (c’est bien connu) est partout et a beaucoup d’argent en alternance avec cet autre condamné immédiat qui va tout grand remplacer. Imaginez… qu’il n’y ait pas de paradis, c’est facile quand on y pense, pas d’enfer en dessous, au-dessus de nous, juste le ciel. Imaginez tous ces gens, vivant en paix…

Entre nous, il y a franchement, largement pire que mes petits états d’âme auditifs parce que je me suis levé du pied gauche et tout court et que j’ai en boucle dans les oreilles une ritournelle pop obsédante qui fait
La-la-la, la-la-la-la-la
La-la-la, la-la-la-la-la
La-la-la, la-la-la-la-la
La-la-la, la-la-la-la-la
et que je ne peux juste pas me sortir de la tête.