Pour le cas très probable où je mourrais un jour, j’ai décidé qu’il fallait que je réfléchisse très sérieusement à mes obsèques futures de sorte que ceux qui me survivraient n’aient pas à se préoccuper de ce qu’il faut bien appeler une corvée dont on se passerait bien, un pensum très comparable à la descente hebdomadaire en chaussons dans le local à poubelles ou au remplissage annuel de la déclaration d’impôt en ligne quelques minutes avant la date limite.
C’est en assistant récemment à une mise en terre ensoleillée que mon cerveau torturé m’a soufflé l’idée que préparer son dernier voyage (comme disent pompeusement les publicités funéraires) n’était pas une idée si morbide que cela. Etant donné le niveau d’impréparation et d’amateurisme constaté lors de cette cérémonie triste à mourir – cela peut se comprendre – malgré un temps printanier qui n’aurait pas été pour me déplaire si le cadre bucolique du cimetière périurbain n’avait pas détoné avec l’organisation froide digne d’un chantier de construction.
Pendant que les entrepreneurs mortuaires officiaient, je me suis surpris à penser à mes propres funérailles en fredonnant distraitement une chanson de Jacques Brel, « Le Moribond », une bluette plutôt dansante si on est un tant soit peu réceptif à la polka piquée ou au son entêtant de la bourrée de province et qui reste très bien en mémoire au risque de le rechanter en version karaoké pour réveiller un mariage bon marché ou par inadvertance à une communion trop solennelle. Notons au passage que son adaptation en anglais par Terry Jacks est tout aussi pimpante, délivrant un « good bye my friend » œcuménique perdant en ironie et en cruauté ce qu’elle gagne en trémolos dans les aigus et en sirupeux dans le texte.
Moi aussi, « j’veux qu’on rie, je veux qu’on danse, Je veux qu’on s’amuse comme des fous, Je veux qu’on rie, je veux qu’on danse, Quand c’est qu’on me mettra dans le trou » quand bien même j’aurais opté pour la solution crématoire et fait mes adieux définitifs avec en bruit de fond le son d’un chariot à bagages. Ce n’est pas négociable. Je n’ai pas envie de m’éteindre en me disant qu’un mec que je ne connais pas y est allé du classique « c’est ce qu’il aurait voulu ». Alors que non, je n’aurais pas souhaité qu’on se prenne en photo avec ma pomme en boîte en arrière-plan ou qu’on ouvre une bouteille d’un champagne même pas millésimé aux bulles aérophagiques qui feraient roter malgré lui « La Paimpolaise » à plus d’un Normand.
Non, définitivement non. Je n’ai pas envie, parce que je n’ai pas choisi la musique d’envoi au préalable, qu’on me quitte sur la musique de Titanic par les faussets de la Star Ac’ ou The Show Must Go On de Queen. Mes goûts allant des Beatles à U2 en passant par les bandes originales de films jusqu’au Cri du Kangourou du groupe Odeurs… je préfèrerais choisir moi-même mon chant du départ. Au débotté parmi mes chansons culte (qui ont aussi l’avantage de facilement m’exciter les glandes lacrymales), j’hésiterais à coup sûr entre « Le premier jour du reste de ta vie » d’Etienne Daho, « Bad » ou « Some days are better than others » de U2 et « Sous quelle étoile suis-je né » de Polnareff.
Aparté : maintenant que j’y (re)pense, Le Cri du Kangourou serait un choix assez iconoclaste pour me rendre hommage et consterner l’éventuelle assistance entendant ce texte absurde (donc drôle) sur une musique cartoonesque à l’instrumentation improbable. En plus de faire une assez bonne musique d’attente au standard de l’Office National des Forêts.
Pour en revenir à la cérémonie organisée à mon corps défendant, je n’ai pas envie qu’un camarade d’école que je n’ai pas vu depuis des lustres et qui aurait le mauvais goût de me survivre vienne ahaner une anecdote inutile sur ma propension passée pour les films d’auteurs confidentiels et la bière trappiste. Et puisqu’on parle de bière, je n’ai pas non plus envie d’une exposition florale post-mortem : j’ai suffisamment détesté jardiner de mon vivant, quitte à servir de compost autant le faire sans fioriture inutile et ne pas se coltiner des feuilles mortes qui se ramassent à la pelleteuse.
Je fais mon bravache mais si je suis un tantinet honnête, depuis que je suis en âge de comprendre que l’on peut passer de vie à trépas en moins de temps qu’il n’en faut une balle calibre 9 mm pour parcourir la distance qui sépare le canon du Lugger de la nuque du condamné à mourir plus vite que ses camarades qui mettent un temps infini à sortir des douches collectives, j’ai peur de la mort.
Je crains la camarde parce que je ne vis pas confit dans une béatitude de croyant extatique, ne sachant pas d’avance s’il y a un après, s’il y a vraiment une grande lumière au bout d’un tunnel ressemblant à une galerie de métro en dehors des heures de sorties de bureau, et surtout si on y a accès au Wi-Fi parce que j’ai des mails en retard et mon téléphone me relance sans cesse pour valider l’authentification à 2 facteurs. J’ai surtout un vrai problème avec le fait que tous les dieux encore en exercice n’ont rien trouvé de mieux que de s’en remettre à des messagers de chair et d’os pour délivrer leur bonne parole : il faut être sacrément con pour laisser les ouailles se faire administrer par des gardiens de troupeaux spirituels prétendant détenir la vérité liturgique parce qu’ils auraient tout lu mieux que les autres et embrassé la carrière de guide suprême sans avoir été validé par le DRH en personne.
Je suis d’autant plus dubitatif sur les compétences et les intentions des curés, évêques, imams, mollahs, rabbins, pasteurs ou autres frères et petites sœurs, que des années de catéchisme n’ont jamais réussi à me convaincre de la véracité de la transsubstantiation ou de la résurrection après un décès cruciforme. Pour les mêmes raisons, je considère nombre de promesses d’un au-delà heureux comme des pitchs mensongers inventés de toutes pièces pour faire saliver les imbéciles tentés de finir en martyrs. Je ne suis pas certain que quelqu’un m’attende lascivement sur une couche parsemée de pétales de roses après m’être jeté sur une tour jumelle. Je doute aussi de l’existence d’un ou plusieurs paradis, qu’ils soient jardins merveilleux ou lieux de délices. Comme je conteste la possibilité de l’enfer (sauf quand je déambule un samedi dans les allées d’un centre commercial au moment des soldes).
Je me méfie aussi de la réincarnation : je suis moyennement séduit par un potentiel retour sur terre en plante d’aquarium ou en bonze inflammable. A cause d’un aléa certain, l’idée d’une métempsycose heureuse ne m’effleure pas plus que ça. De me dire que je remettrais mon âme dans les mains virtuelles d’un algorithme en rotin me laisse perplexe. J’en viens même à me demander si je ne ferais pas mieux de feindre de croire à n’importe quoi pour bénéficier d’une extrême onction salvatrice qui me ferait échapper à la géhenne promise aux athées pratiquants par la foi des dévots.
Je me suis un peu éloigné de mes préoccupations de départ mais le fait est qu’en m’interrogeant sur ce que je voudrais ou pas pour ce jour fatidique, j’en suis arrivé à la conclusion que je crois désormais en peu de choses, ni en une quelconque et hypothétique force supérieure qui aurait toutes les réponses aux grandes questions de l’univers : d’où venons-nous ? Est-ce que six jours est un délai crédible pour créer le monde alors que je n’arrive pas à joindre la hotline de mon FAI depuis ce matin ? Est-ce que Moïse a vraiment fait traverser au peuple juif la mer des Joncs « à pied sec » et si oui, Ferdinand de Lesseps n’aurait-il pas plagié cet épisode biblique quand il a dessiné les plans du Canal de Suez ?
Et surtout : si Dieu existe, pourquoi ?
C’est bien simple, au moment d’entonner Le Moribond (ou Good Bye my friend si mes cousins d’Angleterre ont réussi à obtenir un visa malgré l’allongement des délais post-Brexit), je tiens à redire qu’il m’est très difficile de croire en une religion quelconque, en l’humanité qui excelle à décevoir chaque jour un peu plus. Et encore moins en moi-même.