Littérature Au Centre : « La littérature n’est pas un vase clos, un isolat dans l’univers de la culture » (8e édition. Littérature & Science)

Affiche © Céline Beaune

Nous voici déjà à la 8e édition du riche Festival de Littérature au Centre qui, cette année, se déroulera à Clermont-Ferrand, du lundi 27 mars au dimanche 2 avril, toujours en partenariat avec Diacritik. Et comme chaque année, un thème est exploré, ou plutôt une discipline qui s’adosse à la littérature : cette fois, le festival se place sous le signe de la science et des sciences. Sylviane Coyault et Myriam Lépron, maîtresses d’œuvre du Festival, répondent aux questions sur le programme même de cette édition le temps d’un entretien.

Comment vous est venu le désir de convoquer littérature & science pour cette édition ? Était-ce comme vous le suggérez pour retrouver finalement une porosité, un échange permanent et finalement un décloisonnement disciplinaire comme Blaise Pascal pouvait le connaître déjà ? La science n’est pas l’antithèse de la littérature alors ?

Oui, la porosité. Notre credo, si je puis dire, est que la littérature n’est pas un vase clos, un isolat dans l’univers de la culture, du savoir et de la société. Nous tenons à montrer pour chaque édition son implication dans tous les domaines qui concernent nos contemporains. Comment peut-elle nous aider à penser le monde. La science, donc : au pays de Blaise Pascal, on ne saurait parler d’« antithèse » entre littérature et science ! Songeons qu’au XIXe siècle les sciences avaient une large part dans le roman. Et plus près de nous, que de mathématiciens poètes – à commencer par Roubaud, Réda et même Cédric Villani (parmi nos invités).

Cette opposition systématique nous semble à vrai dire aujourd’hui un véritable cliché – certes bien véhiculé par les filières de l’éducation nationale qui séparent très tôt les « littéraires » et les « scientifiques ». Et dans l’esprit commun, si on n’est pas « bon en maths », on est forcément littéraire… Ce qui est une aberration ! Le roman de Nathalie Azoulai La Fille parfaite explore avec beaucoup de justesse cette question.

Tous les invités de ce festival, je l’espère, démentiront ce cliché.

Dans cette édition, vous avez pris soin comme à votre habitude de bâtir un programme aussi attrayant que varié, précis mais aussi ouvert à tous les publics. Comment avez-vous organisé les différentes journées ? Prenons par exemple la journée du jeudi où les mathématiques, notamment avec Cédric Villani, sont mises à l’honneur : comment s’articulent-elles à la littérature selon vous ?

Dans la plupart des cas, nous avons d’abord choisi les œuvres qui nous semblaient interroger les sciences, puis cherché avec qui faire dialoguer leurs auteurs. Nathalie Azoulai a choisi elle-même son interlocutrice, Sylvia Serfaty, lauréate en 2012 du prix Poincaré. Et Patrick Deville, pour Peste et choléra, a souhaité s’entretenir avec Srinivar Kaveri, un épidémiologiste. Enfin, pour des raisons faciles à comprendre cette année à Clermont-Ferrand – nous fêtons les 400 ans de sa naissance – Blaise Pascal devait avoir sa place dans notre festival : c’est avec Cédric Villani qu’il sera question de l’« effrayant génie » : du mathématicien – mais aussi du philosophe, du poète.

En poursuivant l’exploration du programme, le vendredi se place résolument du côté de la science-fiction mais peut-être plus encore : son incidence dans la vie contemporaine puisque vous êtes amenés à parler d’intelligence artificielle et de transhumanisme. Qui avez-vous choisi pour venir parler de ses questions et en quoi ces questions vous paraissaient-elles indispensables pour montrer combien les sciences habitent nos vies ?

Science et fiction, science-fiction… Le sujet s’imposait ! Il était donc très tentant de mettre en évidence ce que le genre doit à l’astrophysique : l’astrophysicien Franck Selsis, en même temps responsable de la programmation au festival « Hypermondes » s’intéresse depuis longtemps à ce type de littérature ; quant au physicien(et comédien)  Daniel Suchet , à ses dires, il « mélange volontiers la science et la fiction pour parler de l’un, de l’autre et des deux à la fois ». Ces sujets nous paraissaient susceptibles d’attirer un public jeune. C’est pourquoi nous avons aussi programmé des films de science-fiction ; après la projection de Premier contact (Denis Villeneuve), le linguiste Frédéric Landragin se demandera « comment parler à un alien ? » – intrigant, non ?

Quant à l’intelligence artificielle, elle gagne de plus en plus de place dans notre quotidien, et va devenir un problème de société, une question éthique même ; elle va « habiter nos vies », en effet, puisqu’elle concerne tous les domaines du savoir, mais aussi de la création. David Larousserie, journaliste scientifique au journal Le Monde éclairera cet horizon pour le public, en compagnie d’Arnold Zephir, qui raconte par le biais d’une BD (Intelligence artificielle, miroir de nos vies) comment naît et fonctionne une IA et les défis éthiques et techniques qui se posent. Quant à Pierre Ducrozet qui a déjà participé au festival il y a quelques années à propos de L’Invention des corps, il va nous montrer cette fois comment le transhumanisme nourrit ses fictions.

La science à l’épreuve du roman : tel est l’intitulé de l’une des rencontres du samedi. Comment le roman se saisit précisément de la science et sous quelle forme ? Quelle critique en propose la littérature ? Car, loin de se placer sous un jour exclusivement utopique, la littérature semble l’envisager sous une lumière sombre et dystopique ?

La littérature se saisit de la science de diverses manières : elle peut convoquer la vie d’aventuriers scientifiques comme le font Patrick Deville (Yersin) ou Stéphane Audeguy (le météorologue). Dans ce cas, il s’agit de biographies consacrées à des personnalités riches en potentialités romanesques. Certes, si on songe au transhumanisme, ou à la biologie, la littérature peut se placer sous un éclairage inquiétant, dystopique. Mais ce n’est pas exclusif. Il y a aussi chez des auteurs comme Pierre Bergounioux une passion d’encyclopédiste pour les savoirs scientifiques. Dans Réparer les vivants de Maylis de Kerangal, même si la question éthique est posée, il demeure une foi dans le progrès médical, et une admiration pour ceux qui y consacrent leur vie. Cela dit, il ne s’agit jamais d’une foi naïve et  mesure bien les calamités qui résultent des avancées techniques fulgurantes dans le second vingtième siècle. En revanche on comprend que les premières images qui ont été dévoilées du « trou noir », et de manière générale les découvertes de la physique quantique puissent tendre des métaphores à la réflexion métaphysique, et solliciter puissamment l’imaginaire. Je songe en particulier au roman de Philippe Forest, Le Chat de Schrödinger.

Enfin, à la fin de l’éditorial de présentation du festival, vous annoncez que la littérature et la science ont parfois des choses à s’envier. Voilà une annonce bien pertinente : est-ce la fiction que la science envie à la littérature et inversement qu’est-ce que la littérature envierait, selon vous, à l’esprit scientifique ? Quelles autrices et quels auteurs pour en parler ?

À vrai dire, j’espère que les invités vont répondre à ces questions tout au long du festival. A priori il me semble que, quels qu’en soient les moyens, même la poésie, même les fictions les plus folles, ont pour but secret, la recherche d’une vérité, et donc une exploration du réel, du monde qui nous entoure ou de nous-mêmes. Un désir d’exactitude. Si vous lisez les autoportraits en scientifiques que nous ont accordés les écrivains, vous constaterez que beaucoup utilisent des formules allant dans ce sens : Maylis de Kerangal se présente comme une « machine cherchant à simuler les mouvements sismiques qui se produisent à cinq cents kilomètres sous terre, à reproduire les plus petits craquements dans les roches, les plus petits fendillements, afin de les traduire en lignes ondulatoires, en vibrations ». Nathalie Azoulai écrit : « Je suis astrophysicienne, comme dans mes rêves d’enfant. Je lis dans le ciel à livre ouvert, de jour comme de nuit, et pourtant je suis happée par le mystère épais, irréductible, où je pique mes rêves d’adulte. J’atteins parfois les rives lointaines du roman, du poème. Les confins se confondent. Mais mon rêve saute et me voilà chirurgienne, j’incise les chairs avec méthode, je ne m’emballe jamais. La première fois que j’ouvre une poitrine, c’est celle d’un jeune enfant. Son cœur palpite comme une fleur tranquille, les pétales sont larges, amples. Les confins se confondent encore. Je ne me débarrasse jamais du langage et la littérature me rattrape quoi que je fasse. » N’est-ce pas dire le rêve de sciences qui les habitent l’une et l’autre ? » Quant aux scientifiques, ils ne sont pas en reste : l’épidémiologiste Srinivar Kaveri, « cherche à comprendre comment le système immunitaire fait la distinction entre le Soi et le non-Soi ; comment il protège l’organisme des agressions extérieures tout en prévenant une auto-reconnaissance pathologique », tout cela en partant du bouddhisme et du Gnothi Seauton. Etienne Klein se présente comme un « physicien cherchant à travailler le langage de telle sorte qu’il parvienne à exprimer ce que les équations de la physique diraient si elles pouvaient parler. » N’y a-t-il pas dans ces termes sinon une envie, au moins du respect et de l’admiration ? Tous se rejoignent dans une quête de la précision, qui passe nécessairement par le goût et la domestication de la langue.

Festival Littérature au Centre, 8e édition, du 27 mars au 2 avril, Clermont-Ferrand, Maison de la Culture, Hôtel littéraire Alexandre Vialatte. Entrée libre — Programme complet disponible ici