LE CRASH-TEST DU LABORATOIRE MACRON

© Christine Marcandier

Tester la capacité de résistance d’un peuple à une loi explicitement injuste : tel est le véritable objectif de la réforme des retraites. Car, économiquement, rien ne la justifie, comme l’expliquait dans son dernier rapport le Conseil d’Orientation des retraites. Cette réforme intervient de surcroît alors que ruisselle le profit dans les méga-bassines du capital. Le pari de Macron était dès lors sans doute le suivant : après la Covid-19, en plein milieu d’une guerre, avec un taux d’inflation tel qu’on en est à mettre des anti-vols sur les biftecks, les Français vont s’écraser. Ils vont ronchonner, manifester ici et là, on aura sans doute quelques débordements, mais « ça va bien se passer » et tout rentrera dans l’ordre, avec quelques tabassages en règle par la police, qui a appris à l’époque des Gilets Jaunes à éborgner le tout-venant.

L’avantage d’une victoire du gouvernement thatchero-radical de Macron serait en effet de faciliter le bon déroulement des opérations néo-libérales en cours : 1) démantèlement des institutions, des écoles et des hôpitaux publics – seules les prisons doivent prospérer, ainsi que l’armée et la police ; 2) fin de la recherche, même de façade, d’un quelconque consentement social aux lois en vigueur ; 3) abandon de la biopolitique, c’est-à-dire de la gouvernementalité des « vivants constitués en population » (Michel Foucault) relative à la santé, l’hygiène, la longévité, la racialité, etc., au profit d’une politique visant la préservation d’une classe privilégiée au détriment de l’existence du reste de la population : une politique négative de la dépopulation faisant suite à la biopolitique des populations.

Macron ne cèdera donc pas, car ce serait désavouer l’orientation politique contemporaine des groupes dirigeants. Cette orientation est saisissable non pas d’abord comme mode de pouvoir (autoritarisme constitutionnel, libéralisme autoritaire, etc.), mais comme ce qui est requis par une nouvelle transformation du capitalisme. On pourrait l’appeler le capitalisme de survie, qui fait fond sur la certitude d’un effondrement écologique, social et psychique qu’il a lui-même généré dans sa phase expansive. Croire que Macron puisse céder serait comme croire qu’un dirigeant de TotalEnergies puisse faire son mea culpa et demander la fin de l’économie extractiviste, du pillage des pays Africains, et de la pollution de l’écosphère. Macron et ses amis parient dès lors sur un crash-test, du type non pas « ou ça passe, ou ça casse », mais « et ça passe, et ça casse » : sous la forme d’une réforme non-nécessaire, le missile du capitalisme de survie pourra facilement défoncer toutes les lignes de protection psycho-politiques des gens de France.

En choisissant une réforme des retraites pour site de son test, le laboratoire Macron a cependant commis l’erreur de mettre directement en jeu le sens de nos existences, le rapport de la vie à la mort. La signification ultime de la réforme n’a pu dès lors qu’apparaître : on nous demande de travailler plus pour vivre moins, pour mourir plus, c’est-à-dire pour mourir plus longtemps. Une véritable damnation, qui est aujourd’hui refusée partout en France, sous la forme de blocages, de flamboyants refus, de manifestations spontanées attisées désormais par une jeunesse oubliée.

 Nul ne peut prévoir ce qui se passera dans les jours qui viennent, ce que fera le Conseil Constitutionnel et la manière dont le Rassemblent National profitera de la situation. Mais une chose est certaine : refuser le crash-test en cours est une saine pratique de la liberté, l’expérience de la vie contre l’expérimentation du capitalisme de survie. C’est un exercice politique hautement démocratique quand la démocratie est asséchée et les gens méprisés. Contre une réforme injuste, exerçons-nous au Grand Refus sans lequel il n’est nulle possibilité de justice sur Terre.

Frédéric Neyrat est philosophe