Les voix qu’on peut entendre le soir, une divinité africaine – l’orixa exu – et un chat que la maladie a rendu difforme  (Camille Ruiz) , la chute des corps, qu’ils soient fascistes ou capitalistes (Frédéric Neyrat), les îles qui émergeront quand le réseau planétaire ira s’affaisser (Ada Loueilh), des larves de méduses qu’on propulse dans l’espace pour voir si elles naîtraient et se développeraient (Louis Haentjens), un jeu de cartes incompréhensible, tenant à la fois du poker ou du tour de magie, et qui vire au drame (Stéphane Lambion), une serre walipini sous terre et dans la tête, des signes mudras, un devenir végétal (Etienne Michelet), un rituel  pour « reprendre corps avec la nuit »  (Lucien Raphmaj),  agitation nerveuse, rage de dents ou crise d’angoisse dans le hall des urgences d’un hôpital (Eugene Da Foz), etc.

C’est vrai et c’est un peu triste : depuis plus d’un siècle, aucune révolution drastique n’a eu lieu en physique. Aucune théorie radicalement nouvelle n’a été découverte – ou inventée –, infléchissant durablement notre vision de l’intime du réel. Il se pourrait que la grande rupture de notre temps soit plutôt à chercher dans la dimension interprétative. Le sens de nos modèles se révèle peu à peu. Et ce n’est pas un détail.

Stimulant, novateur et indispensable pour qui veut penser l’écologie : autant de qualificatifs qui affirment ici l’enthousiasme de lecture qu’offre L’Ange de l’Histoire : Cosmos et technique de l’Afrofuturisme que Frédéric Neyrat vient de signer aux décidément passionnantes éditions MF. De manière profondément originale, Neyrat jette ici les fondements d’une pensée écologique qui, au-delà de Bruno Latour, se saisit de l’Afrofuturisme, de son imaginaire et de sa puissance politique pour repenser l’écologie. Et si l’écologie était le signe du refus d’une révolution copernicienne ? L’écologie pense-t-elle notre rapport au cosmos ? Accepte-t-elle l’étranger ou reconduit-elle l’anthropocène qui se fonde sur l’esclavage et le meurtre des femmes et des hommes noirs ? L’écologie, pour s’affirmer, doit-elle prendre en charge la question de la race comme l’y invite l’Ange Noir de l’Histoire ? Autant de questions brûlantes que Diacritik est allé poser à Frédéric Neyrat le temps d’un grand entretien.