La tradition est bien ancrée depuis ses premières apparitions sur le service public, le visionnage du VU de l’année est devenu un passage sinon obligé, du moins un rendez-vous qui permet de se remémorer les faits, les images, les sons, les petites phrases et les grands discours qui ont jalonné une année de télévision, marqué les esprits (ou pas), imprimé (ou non) les rétines des téléspectateurs, du premier au dernier jour de 2022.
Entre rétrospective et introspection, l’épisode 2022 du VU de l’année diffusé le 1er janvier 2023 sur France 5 ne déroge en rien à ce qui fait l’intérêt du concept et du format imaginé par Patrick Menais il y a plus de trente ans pour Canal Plus. L’acuité, l’impertinence, la réalité des faits et la froideur des images séquencées et remontées façon patchwork à message sont toujours là et bien là. Les sujets, les personnalités, les actrices et les acteurs de l’actualité se suivent et ne se ressemblent pas (ou si peu)… Dire que rien n’a changé serait par ailleurs réducteur : quand bien même on aurait le sentiment que l’histoire télévisuelle se répète – on a toujours ce savoureux mélange de points/contrepoints indispensable à la prise de recul et propice à l’ironie salvatrice –, il faut se rendre à l’évidence : la nouvelle livraison forme une version inévitablement augmentée de la précédente.
Estampillé « tous publics », malgré l’avertissement liminaire prévenant des images non adaptées à une jeune audience, le VU de l’année 2022 est hautement recommandé (pour ne pas entendre dire un jour « on ne savait pas ») aux âmes sensibles qui auraient remisé aux oubliettes les événements de l’an passé : les Jeux olympiques d’hiver à… Pékin, l’« opération spéciale » russe en Ukraine, la crise sanitaire, la Coupe du monde de football au… Qatar, le scandale des Ehpad, le décès d’Elisabeth II, la hausse du nombre de féminicides, le dérèglement climatique et ses effets, l’élection présidentielle française, la (les ?) canicule(s) et la montée sans cesse croissante (et rarement contredite) de la parole extrême-droitiste. Devant le spectacle des chroniqueurs, des présentateurs-vedettes, des journalistes ou d’invités qui ont désormais bien plus que leur rond de serviette sur les plateaux des chaînes d’infos et font carrément table ouverte dans un PAF soumis à la doxa de patrons de médias trop vite taxés d’inconséquence, on ne peut que constater la responsabilité d’une télévision qui reste LE média dominant.
Chaque jour et a fortiori dans sa version longue annuelle, VU met en perspective, juxtapose et articule, il montre le PAF sous un angle qui met à jour les interdépendances et les croisements entre les propos et les images diffusés d’une chaîne à l’autre. L’émission continue inlassablement de pointer les paradoxes et de faire se répondre la réalité d’un média à un autre. VU donne à voir autrement, par le prisme de l’ironie et d’un montage au cordeau autant qu’à travers les yeux de ses concepteurs qui font le vœu de casser les biais cognitifs.
Plus que l’an passé et sûrement moins que l’année prochaine, le VU 2022 est un concentré de l’époque, un précipité de ce qu’il s’est dit ou de ce qu’il s’est passé, formant ainsi une gigantesque frise mémorielle à destination des oublieux pressés que nous sommes, soumis au flux de l’info, et pour critiquer les donneurs de leçons équivoques à l’agenda politique suspect. Parce que devant nombre de séquences ou d’extraits, on se surprend à réagir à voix haute, répétant « je ne m’en souvenais plus », « ça m’avait échappé »… Parce que ça ne sert à rien d’en appeler au devoir de mémoire si c’est pour oublier ce qui a été diffusé il y a un an, six mois, trois semaines ou trois jours, le VU de France 5 exerce une vraie mission de remembrance publique. Contre celles et ceux qui entendent réécrire le passé, veulent à toute force s’en tenir à un roman national fantasmatique, contre celles et ceux qui agitent des spectres faciles (les procès en « wokisme », « l’éco-terrorisme », le « fascisme » des activistes écologistes…), faire resurgir l’actualité de la veille qui deviendra de facto l’histoire de demain est un moyen d’inscrire dans le temps, de figer et de tracer les discours de post-vérité et les méthodes ambiguës dont le téléspectateur est trop souvent un témoin par trop passif.