« Je n’aimerais pas voir un film pour la première fois en vidéo ou à la télévision. On voit d’abord un film en salle. Cinéma et vidéo, c’est effectivement la différence entre un livre qu’on lit et un livre qu’on consulte. Pour moi comme cinéphile, la vidéo bouleverse ma vie. (…) Avoir un film en vidéo m’en donne une connaissance beaucoup plus intime. En tant que cinéphile, je suis un fanatique de la vidéo. » François Truffaut – Les films de ma vie.
Premier semestre 2022, les spectateurs·rices désertent les salles obscures, et les oiseaux de mauvais augure – corbeaux hitchcockiens sans nul doute – annoncent la mort imminente du cinéma. Depuis sa naissance à la fin du XIXe siècle, le 7e art, le plus populaire parce qu’il réunit et gomme dans le noir le paysan comme le citadin, l’ouvrier comme le bourgeois, est brocardé. On l’accuse d’assassiner le théâtre tant son impact, essor et prix modique embrasent les foules. Quand la télévision, lucarne magique qui perce les murs des domiciles sur le monde, devient média familial au milieu des années 1950, on ne donne pas cher du grand écran face à la multiplication des petits par millions. Aujourd’hui, à cause des plateformes et leur buffet d’images dont les internautes se gavent depuis les confinements, il semblerait que les spectateurs·rices, boas repus, aient du mal à se traîner dans les duplex et salles d’art et essai. 22, v’là décembre ! La digestion reptilienne touche à sa fin, et la fréquentation atteint son plus haut niveau de l’année, dépasse même de 6% celle de 2021. Ouf, le cinéma l’a échappé belle. Comme toujours depuis son avènement et quels que soient les oracles, ce sont ses échappées belles qui sauvent le 7e art, phénix sémillant. Comment vivre sans le pincement au cœur qu’il procure quand l’ombre nous enveloppe ? Sans les papillons dans le ventre, symptômes de l’état amoureux, quand la lumière s’anime ? L’être humain, depuis la nuit des temps, a besoin de légendes, d’archétypes et autres fictions qu’il embrasse ou rejette pour développer sa psyché, structurer sa pensée, affirmer sa singularité. Il y a en France, pays cinéphile où l’on s’exalte et s’engueule à propos des films, plus de 5000 salles actives qui, jour et nuit, proposent du rêve à portée d’yeux et oreilles. Pour offrir ces sas ouverts au sensible, ces pieds de nez qui prennent la tangente de la réalité, que tout·e exploitant·e de cinéma ne soit pas remercié·ée, mais vénéré·ée comme bienfaiteur·rice de l’humanité.

« Tu comprends, sur cette terre, il y a quelque chose d’effroyable, c’est que tout le monde a ses raisons », déclare Octave dans La Règle du jeu de Jean Renoir, peut-être la plus belle réplique de cinéma. Oui, il est effroyable le choix de l’épinglage dans le panthéon des élu.e.s avec les raisons les plus subjectives du monde, au détriment d’œuvres qui cognent aux portes du classement : Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson (lire ici la critique de Jeremy Sibony), La Conspiration du Caire de Tarik Saleh, Contes du hasard et autres fantaisies de Ryūsuke Hamaguchi, L’Innocent de Louis Garrel, Decision to Leave de Park Chan-Wook, Un beau matin de Mia Hansen-Løve, Ouistreham d’Emmanuel Carrère…
Un acteur ouvre et referme la sélection. Une cinégénie monstrueuse qui tangue entre celles de Michel Simon et Ned Beatty, se fond dans le quotidien d’un paysan français traqué en Galice chez Rodrigo Sorogoyen, fond en larmes amères chez François Ozon à la sauce Fassbinder. Masse dans le champ, mouton bear et diva arty, Denis Ménochet ne dévore pas l’écran, il l’intensifie de ses incarnations. Grandeur, largeur, profondeur, tendresse et puissance, suffocation et asphyxie, ses peurs, pleurs et mort ont fait trembler, rendu inoubliables 2 rendez-vous au cinéma en 2022. Vibration 2, celle de l’association et la dualité, de l’émotivité et la rivalité. Versants du sommet Ménochet.
1. AS BESTAS de Rodrigo Sorogoyen
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2. RMN de Cristian Mungiu
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• LA NUIT DU 12 de Dominik Moll
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3. PACIFICTION de Albert Serra
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4. ARMAGGEDON TIME de James Gray
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5. BATMAN de Matt Reeves
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6. UN AUTRE MONDE de Stéphane Brizé
• SAINT OMER de Alice Diop
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7. CAHIERS NOIRS de Shlomi Elkabetz
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8. SPENCER de Pablo Lorrain (Prime Vidéo)
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9. LES ENFANTS DES AUTRES de Rebecca Zlowtoski
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10. LES PASSAGERS DE LA NUIT de Mikhaël Hers
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PETER VON KANT de François Ozon
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Bonus série
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