Chics

Album de Kat Onoma (détail)

Rodolphe Burger, par exemple, est un chanteur chic. La preuve : Pierre Alferi et Olivier Cadiot lui fournissent du matériau verbal. Ils entendent, ai-je cru comprendre, se tenir à distance de la chanson à texte, laquelle leur paraît assez peu opérante, opératoire, moderne, assez peu chic.

Que dis-je chanteur. Musicien. Quelquefois, l’écoutant, je m’autorise à penser au mot « atonal », dont je n’ai pourtant jamais pleinement saisi la signification. Du haut de mon amateurisme, je situerais sa musique à mi-chemin entre l’Ircam et Taratata (cette émission nous a offert de beaux duos. Je me souviens de deux en particulier : Lavilliers-Mickaël Furnon, pour Saint-Étienne, du premier ; et Thiéfaine-Couture, une version pop de C’est extra). Il reprend Kraftwerk et le Velvet Underground, groupes chics. Dans un anglais teinté d’accent alsacien. De surcroit, il a fait philo. Malgré ces dangers, c’est bien quand même. Kat Onoma, son ancien groupe, déjà, c’était bien. Chic mais bien. Ou chic et bien, si on préfère. Alors, pour céder bien comme il faut à l’exaspération du kitsch du chic, il faut trouver une autre cible, envisager le qualificatif dans son acception la plus superficielle, la plus creuse et la plus moutonnière. Examiner le chiqué du chic. Avec Rodolphe Burger, bien sûr, on n’est pas dans ce cas de figure. On pourrait dire que Burger c’est bien, malgré le grelot chic accroché à sa guitare. Le terme « chic », si l’on tient absolument à l’appliquer ici, en devient presque acceptable. Même s’il ne dit pas grand-chose de la singularité de R.B, voire l’appauvrit.

Chic. Un quartier. Un hôtel. Une garde-robe. Un évènement culturel. D’accord. On voit ce que les gens qui utilisent l’adjectif veulent dire. En général, ce n’est pas loin de « friqué » ou « onéreux », ou « distingué », ou « là où vont des gens connus » ou les quatre à la fois. Quoiqu’un endroit, une personne, un bâtiment peuvent être opulents, connus et vulgaires, ce qui tendrait à indiquer que répéter « chic » sur commande, parce qu’on l’a entendu de la bouche de célébrités ou d’experts en chiquitude, est peu convaincant. On est en droit de se demander, d’ailleurs, qui détient la légitimité pour décerner le label. Qu’est-ce-que le chic pour un pygmée de Nouvelle-Guinée ? Pour une Autrichienne centenaire ? En quoi leur conception du chic, s’ils en ont une, serait inférieure à la nôtre ?

Peut-être un mimétisme quasi mondial est-il à l’œuvre. Ainsi, on décrète et martèle : les Champs-Élysées sont l’avenue la plus chic du monde. Déjà, le besoin de classement est assez imbécile. Et puis quand on y passe, sur ces fameux Champs, on voit le problème. On se dit : je préfère ne pas participer au baratin touristique, si ça ne vous dérange pas.  Non, ça ne les dérange pas.

Il y a les écrivains chics, aussi, attention. Certains critiques n’hésitent pas à parler de « textes forts » qui « interrogent (scrutent) le réel ». C’est bien le moins. En effet :  que scruter d’autre ?  Certains de ces écrivains comprennent, au bout d’un moment, qu’ils sont réquisitionnés comme accessoires chics dans les vitrines des organes de presse ayant l’air de tenir à ce sigle et s’en estimer les gardiens. Pour ces écrivains piégés, ce ne doit pas être agréable. Et si certains se cabrent d’autres s’enfoncent dans la satisfaction. C’est peut-être normal parce qu’interroger le réel ne se trouve pas sous le sabot d’un baudet, si l’on en croit lesdits critiques.  Il y a de quoi produire des livres forts et sans concessions, qui interrogent le réel à mort, où l’on se met en danger, grave.

La question du chic me fatigue déjà.  J’ai comme l’impression que quelque chose de tristement dérisoire s’y niche et ne vaut pas de s’y attarder. Une certaine brusquerie suffirait : votre chic, peu me chaut. Chute.

En revanche, changeons de braquet sémantique (oui), j’aime bien l’expression : « C’est une chic fille », « Un chic type ». Elle m’inspire de la sympathie. Due sans doute à sa quasi-désuétude et surtout à ce que la plupart des gens qui l’emploient correspondent peu ou prou à ce qu’elle désigne. Vous aviez remarqué ? Non ? Tant pis. Mais ce n’est pas très chic de votre part. Soit dit en passant.

À propos, un livre intitulé L’anachronique vient de paraître. Le volume rassemble les chroniques d’Éric Holder publiées dans Le Matricule des anges, entre 1996 et 2012. Plusieurs, à les relire aujourd’hui, serrent le cœur. Holder était, pour ce que j’ai pu constater, un chic type, un homme exempt de bassesse. Dans ces chroniques, rien de mièvre, rien de « décalé » pour l’effet ; pas de sermons, « sociétaux » ou autres ; pas de petites « provocations » convenues. Mais le goût de célébrer par les mots « cette joie triste d’être » dont parle Ferré (Lorsque tu me liras). Une élégance constante, parfois résolument anti-chic. Je ne suis pas certain de que ça scrutait, mais ça m’a tout l’air d’être le réel.