« À trois heures moins le quart de l’après-midi, le car arriva à Ocampo, un peu en avance, les dimanches, puisqu’il arrive habituellement à trois heures pile. Dans le car venait le galant aux premières places : parfumé jusqu’à la nausée, costumé de vert et la raie partageant le crâne, parfait : à sa manière, il attirait l’attention. Il descendit fier comme Artaban, dans la main gauche des fleurs et dans la droite un présent avec un ruban ignoble aux pointes dressées vers le haut. Ses yeux de veau regardaient sur les côtés comme répondant à tous les médisants : « Tu voudrais bien être à ma place ». Ce dont il brûle aujourd’hui : marcher dans ces rues pleines de mottes de terre comme s’il se déplaçait sur des nuages, et oui : pour un instant il en donnait l’impression, car malgré lui il ne pouvait corriger sa démarche de paysan, quels qu’aient été ses efforts pour se rendre élégant.
Il avait pris l’habitude, pour se donner un peu de courage, de prendre deux rafraîchissements dans une baraque où le tenancier le connaissait, et qui, sans jamais l’aborder trop directement, le recevait content avec beaucoup d’égards. Cette fois-ci, ce fut différent :
— Soyez le bienvenu ! Votre élégance m’éblouit.
— Merci beaucoup.
Et sans qu’Oscar ait à préciser ce qu’il désirait, le tenancier bedonnant mit sur le comptoir deux sodas au raisin.
— Et en quel honneur portez-vous ce costume, si c’est pas indiscret ?
— Je vais me marier à l’une des fines fleurs de la région. Je suppose que vous la connaissez, il s’agit rien de moins que de la couturière Constitución Gamal. Bon, mais je dois vous préciser que le mariage n’est pas pour aujourd’hui, ah si ça pouvait être vrai ! pour ça il y a encore plusieurs mois à poireauter, pardon, il faudra attendre pas mal de temps avant qu’il se fasse. L’essentiel, c’est donc qu’elle m’ait dit oui la semaine dernière et aujourd’hui c’est un jour particulier pour les deux… La parole est donnée, vous savez ? (L’homme au parfum avala une gigantesque lampée de son rafraîchissement et poursuivit avec fougue.) On se fréquentait depuis pas mal de temps, un peu plus d’un an, et je vais vous le dire franchement, ça m’a coûté beaucoup de prendre la décision de la demander en mariage, vous savez bien qu’on doit réfléchir au moyen le plus convenable de s’adresser à celle qu’on aime si on veut réussir, c’est pourquoi je suis allé à Monterrey pour m’acheter ce costume. Je souhaite que ma femme me voie aussi bien mis que possible. Aussi bien la semaine prochaine je ne le mettrai plus, parce que si je le mets trop souvent dans cette poussière, il peut se salir.
— Vous m’avez dit que c’était Constitución ?
— Oui, c’est ce que j’ai dit, pourquoi ?
— Eh bien, c’est qu’avec les jumelles je ne sais jamais laquelle est laquelle.
— Quoi ? Expliquez-moi.
— Vous ne savez pas que notre Constitución a une sœur toute pareille à elle ?
— Non ! ça alors ! personne ne m’en a jamais parlé. »
Daniel Sada, L’une est l’autre (2002), traduit de l’espagnol (Mexique) par Robert Amutio, Les Allusifs, 2002, pp. 103-104.
