« Au rez-de-chaussée, le portier dont les moustaches grisonnaient trifouillait l’horloge au coucou et m’a demandé si j’avais un tournevis. Entre deux rangées de journaux muraux, j’allais vers le restaurant d’où venait la musique stridente qui ne dérangeait pas le portier, car il était sourd d’une oreille. Le bâtiment du collège évoquait l’esprit du baroque stalinien ; naguère, des filles et des garçons y logeaient ensemble, maintenant, seuls ces derniers y habitaient. Des foyers d’étudiants pourvus du confort moderne ont été construits depuis avec des cabinets et des douches individuels pour chaque chambre, mais moi, je me sentais bien ici. C’est dans ce collège qu’on a placé les étudiants en philologie, sans doute en guise de représailles, pour avoir crié plus fort en 68 ; ils ne pouvaient tout de même pas dissoudre la faculté tout entière. Ils s’étaient contentés d’exclure quelques étudiants et de fermer la chaire de philosophie. Pourquoi une centaine d’étudiants en sciences naturelles avaient échoué ici restait un mystère, peut-être n’y avait-il plus de place ailleurs ? Je me suis vite mis à aimer ce collège, surtout son grand parc ombragé qui devenait au printemps le paradis des amoureux et fournissait du travail supplémentaire aux gynécologues des cliniques de Pozsony. En dehors de leur beauté proverbiale, nos collègues femmes se distinguaient par leurs avortements, certaines fréquentant davantage les gynécologues que les séminaires. Déjà, avant 1968, un libertinage inexorable s’était emparé des jeunes corps, aucune doctrine de Brejnev ni parade de chars ne pouvaient venir à bout de l’anarchie sexuelle. La sexualité a triomphé des doctrines que personne ne prenait au sérieux, se contentant de passer des examens devant les nombreux enseignants secs comme un cotret qui ressurgissaient de la cape de Staline et de l’abri des manuels d’économie politique. Nous avons passé nos examens comme s’il s’agissait des vaccinations obligatoires de l’enfance. »
Lajos Grendel, Les Cloches d’Einstein (1992), traduit du hongrois (Slovaquie) par Véronique Charaire, Éditions la Baconnière, 2018, pp. 32-33.
