À propos de The Normal Heart, une pièce de Larry Kramer, mise en scène par Virginie de Clausade.
The Normal Heart, que l’on peut traduire par « Un cœur Normal », « un cœur simple » ou « Nous avons tous le même cœur », est la pièce qu’il faut aller voir en ce moment, que l’on soit gay ou hétéro, ou ce qu’on voudra. C’est fou comme ce virus a changé nos vies, ce virus de l’amour et de la mort qui tue, ce 11 septembre viral, plus grand même qu’un 11 septembre, plus dévastateur, permanent et invisible. Les temps ont changé, c’est vrai, on parle aujourd’hui de sérologie, la maladie est devenue chronique, encore plus invisible, et il y a la sérophobie : t’es clean, pas clean, tu prends la prep ou pas ?
Écoutons la voix d’Isabelle Adjani dans ce petit texte que j’avais écrit pour elle, à l’époque pour Aides :
«Donc, on est tous des grenades dégoupillées»
C’est l’avant 120 battements, c’est au tout début, c’est New York, début quatre-vingt, quelques mecs sont morts, une petite vingtaine, y’a quelque chose qui tue et qui semble très contagieux. Ned Weeks part en guerre contre l’inaction et l’indifférence. Ses amis agonisent et meurent autour de lui. L’épidémie, dite « cancer gay », décime sa communauté. Il s’indigne, agit, met sa colère et son sale caractère au service d’un activisme sans concession. Il provoque des scandales médiatiques, il interpelle le président Reagan et le maire. Avec le docteur Emma Brookner, il lutte pour mobiliser la population et sauver des vies. La pièce déroule ce combat. C’est une pièce sur la beauté de la colère.
L’écrivain Larry Kramer va fonder Act Up après avoir écrit The Normal Heart, acte militant, autobiographique. La pièce chorale est créée à Broadway en avril 1985 pour près de trois cents représentations. Une version multicouronnée aux Tony Awards confirme le succès de la pièce en 2011, avant une tournée triomphale au Canada, en Angleterre, en Australie comme aux Philippines. En 2014, Ryan Murphy la porte à l’écran avec Mark Ruffalo et Julia Roberts. En mars 2020, Larry Kramer annonce l’écriture d’une pièce sur la crise sanitaire du coronavirus. Il meurt le 27 mai 2020 d’une pneumonie à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Trente-cinq ans après sa première représentation, The Normal Heart est créée en France. Act up ! Again ! One more time !
J’ai vu cette pièce dans des conditions particulières, j’avais invité mon ami Fred Navarro, 35 ans de cohabitation avec le virus, il fut l’un des Présidents d’Act Up France, cette période des années 80-81-82-83, alors que Luc Montagnier n’avait pas encore identifié le VIH, Fred l’a bien connue.
« Faire les graviers », c’est Jenny Bel’Air qui un jour a employé cette expression devant moi. C’est-à-dire que les gens de cette époque-là avaient au cimetière du Père Lachaise plusieurs fois par semaine, ils remontaient l’allée centrale, ils faisaient les graviers.
Autre image : pendant la pièce, je sens que Fred tressaille à plusieurs moments, tout son corps est tendu, il vibre, il approuve, je sens qu’il a envie de se lever et d’applaudir à plusieurs moments, il fait claquer ses doigts, je sens qu’il a envie de pleurer aussi. C’est un honneur pour moi de voir cette pièce excellemment mise en scène par Virginie de Clausade, avec une distribution de ouf ! Tous les acteurs sont formidables ! À la fin nous parlons autour d’un verre. Virginie a « rencontré » le VIH en écrivant une biographie de Thierry Le Luron, c’est ainsi qu’elle a fait des recherches sur ces noires années, ces années de plomb, on plombait les cercueils de peur que la terre elle-même soit contaminée, la terre, le centre de la terre, et pourquoi pas le ciel, les étoiles, Mars, Vénus ?
À la fin, de la pièce, pendant les applaudissements, près de moi dans le public, un homme genre daddy 45/50 ans, encore bogosse, assis aux côtés d’une femme, 70 ans environ. Ils applaudissent, puis la femme serre très fort et longuement la cuisse de l’homme, son fils probablement. Ce moment est d’une grande beauté, tout est dit dans la théâtre, par le théâtre.
Mais je vais me taire maintenant, je suis né en 76 donc je n’ai pas vraiment connu cette époque, aussi je vais laisser la parole à Fred Navarro : Cher Fred, comment as-tu vécu ce moment de théâtre ensemble, comment as-tu reçu cet uppercut théâtral ? Je t’embrasse mon ami, je serais heureux de te lire… Olivier
Merci Olivier, que dire sinon de courir voir cette pièce… Je sais, ce n’est pas drôle de sortir pour voir une pièce qui fait remonter à la surface ces années de luttes individuelles contre un virus invisible ! Pour ma part, il s’est révélé en 1986, j’avais alors 26 ans ! Presque l’aube d’une vie ! Dans ces années-là, on commençait à en parler mais le focus n’était pas mis. Cela semblait ne toucher que la communauté pédale, alors bon, si quelques tarlouses disparaissaient, cela comptait pour peanuts !
Merci Olivier d’avoir pensé à moi pour cette invitation à la représentation de The normal heart, alors oui, j’ai tressailli, j’ai tremblé, j’étais souvent à retenir mes larmes et mes émotions mais que veux-tu ? Une pièce dans laquelle on parle de moi, de nous, ceux qui avons été contaminéEs, fauchéEs en pleine jeunesse, en pleine soif de vivre, de fait invite celles et ceux qui n’ont pas eut la chance d’y survivre,
Je l’avoue, je te l’avoue, c’est beaucoup d’émotions pour un seul homme même si celui-ci semble… Ce qui m’a ému aussi, c’est qu’avec rien, dénuement côté décors, judicieux choix de la metteuse en scène par Virginie de Clausade, elle réussit à remplir la scène des fantômes, de cette foule de membres de familles, d’amiEs chers, de compagnons ! Il semble pour celles et ceux qui ont eu la chance de ne pas traverser cette période, ces années sombres de l’hécatombe de l’épidémie du VIH/Sida, le sida soit une maladie devenue banale.
Moi qui passe pas mal de temps à témoigner dans différents lieux, foyers, écoles etc, etc. j’ai même entendu : « Le sida, ah oui la maladie des vieux mais ça se guérit aujourd’hui » ! Oui, quarante ans après l’arrivée de ce virus, nous en sommes là ! L’arrivée des premières trithérapies que nous avons implorées de nos chairs meurtries et de nos synapses chahutés a à l’époque traumatisé nombre d’entre nous. Je pense à mes amies car les femmes ont été touchées elles aussi sans qu’officiellement cela soit mis en évidence à l’époque, n’entraient pas dans les essais cliniques des médicaments. Qu’importent nos différences hormonales. Si ça sauvait les hommes, cela sauverait les femmes même si elles allaient vivre in vivo les désagréments de ces différences, déplacement des graisses beaucoup plus violentes, atteintes de leurs systèmes hormonal avec des ménopauses prématurées etc., etc…
Alors oui, nous avons essuyé les plâtres de ces traitements qui allaient, pour certains d’entre nous, nous sauver. Alors, après avoir grâce à des personnes comme Larry Kramer, qui se sont engagées très tôt, levées, révoltées devant tant de mauvaises considérations, qui ont lutté, le VIH/Sida, vu que l’on n’en mourait plus aussi vite est retombé dans l’oubli. Mais l’on meurt encore des suites du Sida. C’est ce qui entre autres est arrivé à l’homme de ma vie, Christian Charpentier. Mort foudroyé par un arrêt cardiaque intensif en 2010. Christian n’avait pas 46 ans.

Oui, aujourd’hui, moi le « Survivor », c’est ainsi que la communauté scientifique nous appelle, nous les vieux de la vieille de l’épidémie, je suis effaré de voir comment les nouvelles générations considèrent le fait d’être porteur d’un virus mortel, par dessus la jambe. Bien sûr il y a parmi eux celles et ceux qui le vivent mal mais pour la majorité, c’est presque devenu comme une grippe. Puis, une épidémie en chassant une autre, le Covid a encore plus mené le VIH/Sida aux oubliettes. Je dois rappeler qu’il y a toujours en 2021 environ 6200 nouvelles contaminations sur l’hexagone par an. Je n’oublie pas que face à la santé, nous ne sommes pas égaux mais ce sont des traitements chimiques à vie que nous devons avaler pour survivre. Je n’oublie pas que ce virus particulièrement est encore et toujours discriminant. J’y ai perdu une fratrie dans l’histoire, quelques amitiés et aujourd’hui des amants moi qui espère encore le nouvel homme de ma vie !
Cette pièce est portée par 7 comédiens fabuleux. Grandioses, qui ne surjouent pas et tombent juste. La découverte de la troupe et de la metteuse en scène après la représentation m’a fait beaucoup de bien aussi. Bises vraies à toi beau gosse…
Fred N, sans haine.
The Normal Heart de Larry Kramer, traduction, adaptation et mise en scène Virginie de Clausade. Avec Michaël Abiteboul, Joss Berlioux, Andy Gillet, Déborah Grall, Brice Michelini, Jules Pelissier, Dimitri Storoge. Durée : 1H30.
Théâtre du Rond-Point du 8 septembre au 3 octobre 2021, Salle Jean Tardieu, du mardi au samedi 21 h, dimanche 15h30, relâche les lundis.