Conquis d’emblée par un titre prometteur et un sujet qui ne l’est pas moins, j’ai lu La Flotte fantôme de P.W. Singer et August Cole (Buchet Chastel), livre qui s’est révélé quelque peu décevant sur la durée, pour ne pas dire la longueur. Le thriller maritime dystopique « affolant » annoncé se transforme au fil des pages en super production lisse. La faute à une avalanche de références militaro-industrielles qui tourne au name dropping technologique inutile et à un propos convenu qui vante in extenso les vertus américaines contre le méchant reste du monde.
Les cinéphiles et les sérivores pourront rapidement se faire une idée des acteurs et des scènes de guerre en se remémorant Battleship (les aliens en moins), Pearl Harbour (les Japonais cédant la place aux Chinois) ou même Last Resort ou The Last Ship. Les lecteurs de thrillers géopolitiques éduqués avec Tom Clancy, Michael Crichton ou Frederick Forsyth y trouveront aussi leur compte avec juste ce qu’il faut d’invraisemblances habilement déguisées en menaces potentielles sur l’état du monde et de héros sévèrement burinés sauveurs de mondes.
Présenté par les auteurs eux-mêmes comme une oeuvre de fiction et non de prédiction (c’est heureux), La Flotte Fantôme possède nombre d’atouts et quantité d’ingrédients propres à faire imaginer le pire : « dans un futur proche », tandis que l’Indonésie a cessé d’exister à cause d’une crise pétrolière et d’une récession sans précédent, que le monde a changé de physionomie à la suite de révolutions, d’indépendances proclamées et de la fin du régime communiste chinois, les équilibres fragiles tenus pour acquis vont être remplacés par une instabilité grandissante et des guerres d’expansion jusque-là inconcevables… Il est vrai qu’au jeu des possibilités à même de susciter intérêt et paranoïa, peur de l’avenir sur fond de tendances et technologies existantes, d’actualité chaque jour un peu plus angoissante, le thriller de P.W. Singer et August Cole déroule les situations dramatiques comme on enfile des perles sur un bracelet porte-bonheur : dans l’espace, un astronaute se voit refuser l’accès à l’ISS par son collègue et ami (?) cosmonaute le condamnant à une mort sidérale ; sous la surface des océans, une équipe chinoise d’exploration sous-marine réussit à exploiter la fosse des Mariannes tandis qu’à bord de l’USS Coronado dans le détroit de Malacca et au sein de l’ambassade américaine à Pékin, on commence à comprendre que le monde a bien changé et que ce n’est peut-être que le début d’autre chose. Ces changements annoncés auront bien lieu : la flotte chinoise va envahir Hawaï pour établir une tête de pont dans cette partie du Pacifique historiquement convoitée… Après une bataille aérienne et maritime éclair et une invasion tout aussi fulgurante, la force d’occupation conduite par des stratèges chinois qui ne jurent que par Sun-Tzu ne rencontre que peu de résistance.
Le livre de P.W. Singer et August Cole déploie quelques théories intéressantes quand il s’agit de pointer les enjeux sous-jacents guerriers de la conquête spatiale, les choix économico-industriels des nations qui sous-traitent la fabrication des composants de leurs avions, satellites, appareils de communication par leurs ennemis potentiels, la course sans but et sans fin à l’armement et à l’énergie… Fort de ces postulats, La Flotte Fantôme se lit d’une traite en bon page turner qui se respecte. Hélas, ce qui se donnait comme un thriller d’anticipation retors et bien pensé s’avère au fil des pages être une bonne idée dépassée par son propre enjeu. Politiquement correct, grandiloquent et patriotique jusqu’à la dernière étoile du drapeau américain, La Flotte Fantôme est par trop formaté et prévisible. Le livre rejoue des scénarios catastrophes au goût de déjà-vu, mêle hypothèses militaro-industrielles manichéennes et considérations psychologiques caricaturales : la situation familiale du capitaine du navire (une relation père-fils compliquée) devient un ressort lâche et attendu au moment de la bataille finale. Quand bien même le livre est auréolé d’un blurb indiquant que le scénario ferait peur au Pentagone, les actes de bravoure des forces spéciales US ou d’une Nikita en puissance achèvent de faire entrer La Flotte Fantôme dans la catégorie des sommes qui font passer Top Gun pour un film d’auteur.
P.W. Singer et August Cole, La flotte fantôme, traduction de David Fauquemberg, Editions Buchet Chastel, 544 p., 22 € 90