Marie-Ange Guilleminot : Close Up 13 (Entretien)

La Boîte, Château de La Napoule, exposition « Critique et Utopie », Anne Moeglin-Delcroix, 2000. ©photo Céline Duval

Parmi les boites de bouquinistes sur le bord de la Seine, il en est une, « La Boite 31 », qui se démarque des autres car elle est l’œuvre d’une artiste. Marie-Ange Guilleminot l’a conçue comme une expérience dans l’espace public : boite volante qui peut se déplacer à l’étranger, boite-valise qui contient des livres d’artistes (les siens et ceux de ses amis artistes), boite-rencontre où le public peut parfois devenir acteur de ses installations.

Engager l’autre dans un rapport poétique au monde, réveiller la pensée, transformer le quotidien sont les intentions de Marie-Ange Guilleminot qui s’expriment à travers des performances, des installations, des vidéos ou encore des livres d’artiste. Le hasard, les coïncidences et les rencontres alimentent son chemin de vie artistique.

La prochaine ouverture de « La Boite » aura lieu le WE du 25/26 septembre de 14H à 18H près du Pont des Arts, au niveau du 17 Quai Conti.

Comment te présenterais-tu ?

Je réalise des performances dont le déroulement peut intégrer une improvisation due à l’échange, parfois, avec le public. Une pratique qui se tient dans des lieux publics comme la rue ou en privé, parfois, face à l’objectif d’une caméra. J’aime imaginer des gestes, créer des livres d’artistes, questionner des habitudes culturelles, concevoir des objets avec des artisans. Mon travail ne peut se résumer en une définition.

Comment présenter ton œuvre ?

Une œuvre multiforme. Je détourne des objets et réalise des objets transitionnels avec des charges symboliques qui peuvent être des vêtements, des instruments de musique, des bibliothèques dont les usages diffèrent des habitudes et des codes culturels. Je m’intéresse particulièrement aux livres d’artistes. Je suis même devenue bouquiniste (rires)

Ta première rencontre avec les livres ? 

Enfant, j’ai reçu un livre sur l’origami (pliages japonais), j’ai beaucoup aimé avoir un mode d’emploi de ces papiers pliés qui se transformaient. Cela m’a fortement marquée que le livre ne soit pas forcement constitué de mots mais aussi de formes et d’images. C’est en 1995 que j’ai réalisé mon premier livre d’artiste avec des photos volantes glissées entre les pages du livre blanc à partir de l’œuvre « Mes poupées », réalisées pour l’exposition devenue mythique « L’hiver de l’amour » au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Mon œuvre peut prendre différentes formes dans le temps et se réinterpréter ou revivre dans un livre.

…du meuble spirale au meuble infini… 2012, Villa Savoye, Poissy. Courtesy Marie-Ange Guilleminot.          Photo © Sophie Brossais / Œuvre de Le Corbusier © FLC Invitation de Sophie Brossais © ADAGP, Paris

Est-ce que ta boite de bouquiniste est également une action artistique ?

J’ai ouvert la première boite comme un lieu d’exposition d’un de mes livres d’artiste en 1997 sur le quai de la Tournelle. Puis, j’ai diffusé des éditions et collaboré avec nombre d’artistes (Pierre Leguillon, Jean-Jacques Rullier, Jean-Luc Moulène, Philippe Millot, Fanette Mellier, Céline Duval…). L’événement le plus inouï a été le lancement du livre de Raymond Hains pendant son exposition au Centre Pompidou.

Aujourd’hui, la boite a pris forme d’une association qui m’aide à gérer les 4 boites en face du 17 quai de Conti car la transmission et le partage sont également au cœur de mon travail. La Boite est parfois volante, elle a voyagé à New-York, Philadelphie, Rennes, Toulouse, Sao Paulo, Tel-Aviv…

Je conçois mes boites comme une action artistique dans l’espace public, une action nomade et participative.

Ta première rencontre avec l’art contemporain ?

À treize ans, j’ai eu un premier choc devant des œuvres de Bonnard à la Fondation Maeght à Saint Paul de Vence. Puis, j’ai croisé des artistes pendant mes études d’art à la Villa Arson à Nice. Mais rencontrer au sens de comprendre les enjeux de l’art contemporain, c’est grâce à l’artiste Absalon que j’ai connu en 1989. En partageant sa vie, j’ai découvert que j’étais également une artiste.

Ton plus grand choc culturel – celui qui t’a le plus nourri selon le sens qu’Edouard Glissant donne à la créolisation ?

La communauté des Shaker qui a vécu dans une forme d’autarcie en créant tout son monde avec simplicité pour aboutir à l’essentiel. Ils sont dans le partage car ils permettent que l’on copie leurs meubles, ils demandent juste que les meubles soient estampillés de la mention « shaker ». Ce que l’on retrouve chez le designer Enzo Mari ou l’artiste Donald Judd qui ont pensé l’objet dans le quotidien et l’art dans la vie.

La Boîte à Paris. Courtesy Marie-Ange Guilleminot

Une belle rencontre ?

Enzo Mari, à l’occasion de son exposition à la Triennale de Milan. J’admirais son projet « autoprogettazione » qui permettait à chacun de réaliser des meubles grâce au partage de ses plans de construction et l’utilisation d’outils standards. Chacun pouvait s’approprier ses plans en toute liberté. Je lui ai raconté mon projet de partir au Japon pour une exposition sur la mémoire d’Hiroshima. J’ai fait réaliser, selon son principe, des tables dont j’ai changé l’usage pour en faire des socles. J’avais envoyé les plans d’Enzo Mari en laissant l’interprétation de la réalisation au menuisier japonais. Ces croisements de culture étaient passionnants.

Lors de notre échange, Enzo Mari m’a raconté sa fascination pour le monde des Shaker et particulièrement les lits qu’ils créaient pour les derniers moments de la vie. Ce sont des lits étroits et longs qui reprennent le mouvement du rocking chair pour les bercer jusque dans la mort.

L’artiste disparu.e  que tu aurais aimé connaître ?

Lygia Clark, pour la richesse des facettes de son travail, et particulièrement pour son projet de maison qui s’appelle « Construis toi-même l’espace où tu vis». J’ai rêvé, avec la complicité d’un artiste brésilien, Helmut Batista, rencontré au Brésil, repartir de la maquette de cette maison pour la déployer en différents lieux du monde. Nous souhaitions faire un dispositif de nature expérimentale dans chaque pays et construire sur le terrain que Lygia Clark avait rêvé d’acheter, au Brésil, la maison, pour en faire sa Fondation. Ce qui n’a pas été possible… En revanche, cela m’encourage à adopter ce projet de construction de mon propre espace et ce de mon vivant ! (rires)

Quel événement t’a marqué ces derniers temps ?

La première fois, le choc… l’évènement marquant à titre privé, c’est le décès de mon compagnon artiste, Absalon, qui est mort du sida très jeune. Par ailleurs, ce sont les bombes atomiques lâchées sur Hiroshima, Nagasaki et plus récemment la catastrophe de Fukushima : comment réagir à ces évènements ? Quel rôle pour un.e artiste ? La réponse pour moi est dans la notion d’urgence et dans celles d’engagement et de résistance. Un engagement de vie ! Agir !

Quelle utopie, quel espoir pour demain ?

L’espoir, c’est que chacun soit dans cette résistance, mais l’individu doit rejoindre le collectif. Et les artistes sont importants pour amener cette réflexion, pour donner à voir, Duras a dit : « Bien regarder, je crois que cela s’apprend ». L’espoir, c’est la vie. La vie est magnifique !

Actualité :
« Making Worlds Exist », expo de Kathy Alliou, dans la Foire ASIA NOW, du 21 au 24 octobre 2021.
« Absalon, Absalon » au Capc Musée, à Bordeaux du 24 juin 2021 au 2 janvier 2022.
« Touchez-voir » et « Le Livre-à Porter », œuvre destinée aux mal voyants, présentation inaugurale Palais Galliera, octobre 2021.