Maral Bolouri – Close Up 11 (Entretien)

I grew within you, but your pain is no longer mine ©Maral Bolouri

Artiste nomade, Maral Bolouri quitte l’Iran post-révolutionnaire à l’âge de 26 ans pour la Malaisie puis s’installe au Kenya. En 2017, elle y remporte le prestigieux prix sud-africain Absa L’Atelier, en 2017, associé à une résidence à la Cité internationale des arts à Paris. La France l’a choisie, dit-elle. Elle s’y installe et obtient son permis de séjour.

Artiste militante, elle s’intéresse aux problématiques postcoloniales et de genre. En Iran, les personnes homosexuelles sont punies de la peine capitale. Son œuvre est le lieu de la liberté exprimée, de la parole devenue un exutoire, du texte qui révèle les représentations négatives et réductrices des femmes.

La série « Un-mothering », constituée de photographies trouvées sur lesquelles Maral Bolouri peint en boucle des phrases en farsi, des non-dits maternels tirés de sa psychothérapie, sera exposée dans « Féminin Pluriel » à l’Espace Commines, à Paris, en novembre 2021.

Comment te présenterais-tu ?

Je dirais que je suis un.e artiste queer. C’est essentiel de le spécifier car c’est une expérience centrale de ma vie et de ma pratique. J’étais différent.e, je ne pouvais pas trouver ma place, ou plus exactement, il n’y avait pas de place pour moi – raison pour laquelle je questionne le genre, l’identité et me focalise sur ces sujets.

You are closer than my own skin to me © Maral Bolouri

Comment présenter ton œuvre ?

Je suis un.e artiste multidisciplinaire. Au-delà du médium, ce qui prime c’est le sujet et beaucoup la recherche. Je m’intéresse aux questions du genre, du féminisme, de l’identité. Mon travail est nourri à partir de la littérature queer de Judith Butler  et des revendications de Paul B. Preciado de n’appartenir à aucun des deux genres, masculin et féminin.

Une autre de mes sources est Slavoj Žižek, le philosophe psychanalyste slovène, très controversé. Il développe une analyse sur la violence et écrit sur des sujets comme l’holocauste, les migrants en Europe, en utilisant les théories de Lacan, dont il fait une lecture très intéressante.

Ta première rencontre avec l’art contemporain ?

Petit.e, j’ai eu la chance d’avoir des parents qui avaient une grande collection de livres, y compris de nombreux livres interdits par la censure. Par ailleurs, il y a un musée d’art contemporain en Iran fondé, avant la révolution, par Farah, la femme du Chah d’Iran. Cette collection réunit des œuvres d’artistes internationaux comme Andy Warhol, Picasso, etc. Mes parents m’y emmenaient régulièrement.

Par la suite, quels ont été tes grands chocs esthétiques ?

L’architecture, car c’est une expérience, ce n’est pas juste une œuvre en 2D. Ainsi, en Iran, j’ai vu des mosquées et des monuments vraiment bouleversants de beauté. En France, à mon arrivée à la Cité des arts, cela a été un choc de marcher 10 min et de me retrouver devant le Louvre. Je trouve Paris très belle ! Sinon je suis très sensible à la puissance des films de Xavier Dolan, comme le dernier en date, Matthias et Maxime.

Dis-moi pourquoi tu m’aimes? Installation. Festival Visions d’exil, organisé par l’Atelier des artistes en exil à la Villa Radet, Cité internationale des arts. 2019. crédit photo : Paul-Henri Nivet © Maral Bolouri

L’artiste disparu.e  que tu aurais aimé connaître ?

Certainement Ana Mendieta. J’aurais aimé lui poser des questions sur son travail, en particulier les performances qu’elle a faites sur le rapport entre le corps féminin et la terre. Il me semble que l’on fait une lecture un peu réductrice de son travail. Son expérience du dépaysement m’inspire également : le dépaysement, non seulement dans le sens littéral, mais aussi le fait de ne pas avoir de racine ou de ne pas les trouver. Où est-ce qu’on cherche nos racines ?

Un.e  artiste d’aujourd’hui que tu aimerais rencontrer ?

J’aimerais rencontrer des auteur.e.s comme Virginie Despentes et Paul B. Preciado. Également Chris Kraus, pour son roman I love Dick. J’aimerais également rencontrer Céline Sciamma. Son film Portrait de la jeune fille en feu n’a pas rencontré en France autant de reconnaissance qu’aux États-Unis et au Canada, alors qu’il le méritait.

Ton musée préféré ?

Le Jeu de Paume à Paris. Je préfère les centres culturels contemporains aux musées. Les expositions monographiques permettent de vivre un rapprochement fort avec l’œuvre d’un artiste. La dernière exposition marquante que j’ai vue avant le confinement était celle de Peter Hujar. La programmation du Jeu de Paume se concentre sur cette forme d’expérience inspirante.

L’œuvre que tu aimerais posséder pour vivre avec ?

Je préfère posséder des livres aux œuvres d’art.

Even if you never step down your path, I love you © Maral Bolouri

Quel.le auteur.e a pu inspirer ton œuvre ?

Quand je vivais au Kenya, je me suis intéressé.e aux écrivains comme Binyavanga Wainaina, une figure de la critique du post-colonialisme et de l’homosexualité. Il avait fondé l’association Kwani, une maison d’édition pour publier des écrivains africains et kenyans. Deux de ses livres m’ont particulièrement marqué.e : How to write about Africa ?,  un essai un peu ironique, et One day I will write about this place. Je m’oblige à lire en français depuis que j’ai commencé à l’apprendre en 2018. Le premier livre que j’ai acheté, c’était La pensée straight, de Monique Wittig, une écrivaine féministe passionnante, ensuite il y a eu des livres d’Anne Dufourmantelle qui m’ont profondément marqué.e. Ce sont ces auteur.e.s  là qui nourrissent mon œuvre.

Quel événement t’a marqué.e ces derniers temps ?

Le processus de demande d’asile, c’était affreux ! Pendant ce processus, on se rend compte qu’on est considéré comme une non personne. On n’est plus un être humain. On n’existe pas. On perd son document de carte d’identité, on n’a plus qu’une feuille de papier. On n’a pas les mêmes droits que les autres : pas le droit de travailler, pas le droit de sortir du territoire, on ne m’autorise pas à être un sujet libre… Et tout mon avenir va dépendre de la subjectivité d’un fonctionnaire autour d’un entretien. C’est très dégradant pour quelqu’un qui le vit.

J’ai réalisé une œuvre, « Dis-moi pourquoi tu m’aimes », avec comme phrase dans ce projet « Suis-je suffisamment opprimé.e  pour avoir une valeur politique ? »

Ce processus permet d’appréhender la réalité actuelle du monde.  En France, il y a quand même des structures pour protéger les gens. Alors que les migrants qui viennent d’Afghanistan en Iran, n’ont aucun statut. Même les enfants qui sont nés en Iran, qui sont allés à l’école, n’ont pas de carte d’identité. Ils sont apatrides, c’est un abus total !

Quelle utopie, quel espoir pour demain ?

Je ne suis pas très optimiste, il faut urgemment se mobiliser pour sauver la planète, mais on en est très loin ! Donc une mobilisation écologique que j’applique dans ma pratique : je mesure à chaque nouveau projet son impact environnemental pour m’associer à la responsabilité collective.