Festival Bruits de langues: 1er au 5 mars 2021

Nous sommes entourés de bruits, de sons indistincts, de craquements inquiétants, d’échos étranges, parfois effrayants. Mais lorsque ces bruits se mélangent et se transforment pour former une langue, la langue qui nous lie et nous relie, alors nous pouvons distinctement entendre des chuchotements poétiques, des paroles mélodieuses qui nous élèvent et nous réveillent. C’est cette transformation magique, cette actualisation de la langue dans le domaine littéraire qui peut s’opérer à Bruits de Langues.

Lundi 1er Mars : Ali Zamir ou l’écriture qui s’écoute 

Prenez le temps. Écoutez. Savourez.
Mis en voix par des élèves du conservatoire, les extraits des textes d’Ali Zamir et Nathacha Appanah se révèlent à vous dans toute leur puissance orale. En fermant les yeux, vous vous immergez au cœur de la langue, vous plongez dans les œuvres en vous laissant guider par le courant des mots.

Ces lectures scéniques seront suivies d’une rencontre, en présence d’Ali Zamir, auteur de Anguille sous roche (2016), Mon Étincelle (2017) et Dérangé que je suis (2019), trois romans que tout oppose mais qui révèlent, chacun à leur manière, le style d’écriture de l’auteur. Au croisement entre problématiques contemporaines et utilisation d’un vocabulaire riche, recherché, comme sorti d’un autre temps, la prose d’Ali Zamir est à la fois mystérieuse et subtilement étrange. Une littérature sensible qui allie une écriture poétique, spontanée, parfois chaotique, à une trame narrative où s’entrecroisent la vie et la mort dans un sursaut d’humanité, un cri d’espoir violent et fatal, réceptacle des souvenirs d’un passé révolu.

“Mutsamudu et Mjihari, ces noms me disent beaucoup de choses, des délices juvéniles, des aventures savoureuses, d’une vie à la fois rocambolesque et pleine d’effervescence, c’est justement à partir de ces noms que je revois tout, car d’autres noms s’y invitent naturellement, sans y être appelés, Dieu soit loué, il vaut mieux se souvenir, même en tâtonnant, et en fourgonnant le passé, quand on est sur le point de quitter ce monde, que rester à se faire chier, à se lamenter et à claquer des dents comme une abrutie qui a mal joué son rôle”
Ali Zamir, Anguille sous roche, Le Tripode, 2016

Mardi 2 mars : François Beaune ou la libération de la parole

Donnant la parole à l’autre, à ces personnes qui ont tant à raconter mais qui n’écrivent pas, François Beaune se positionne en tant qu’intermédiaire, parfois porte-voix. Au fil de ses rencontres, l’auteur collecte histoires, témoignages et souvenirs, tout un réseau de paroles, de confessions, qui lui permettent de construire ses romans. À la fois biographique et fictionnelle, l’œuvre de François Beaune peut nous faire penser à une “comédie humaine”, un projet de fresque sociale qui se veut vraie, sans filtre, parfois sombre et tragique. À la fois politique et historique, la parole de l’autre est retranscrite dans une succession de mots bruts, de souvenirs intenses, de moments de tristesse et de bonheur, liés par une écriture personnelle, mimétique de la pensée des personnages.

Mais parfois comme aujourd’hui je suis pas concentrée, ça tourne dans la tête, les poses augmentent, dix, quinze, puis vingt minutes. Je ressens une nausée, mais qu’est-ce que je fous là à obéir, à m’interdire de bouger ? Je craque de partout, comme si j’allais me fendre.”
François Beaune, Calamity Gwen, Albin Michel, 2020

Récompensé pour son roman Omar et Greg (prix Réel 2019), François Beaune propose au lecteur, par l’intermédiaire de l’écriture, une rencontre avec l’altérité, avec l’autre. Tribune de la parole libérée, ses romans peuvent représenter une ouverture vers le monde, vers un monde que l’on voit quotidiennement sans vraiment le connaître. Ainsi, cette rencontre avec François Beaune ouvrira la discussion sur la puissance symbolique de ses œuvres, au carrefour entre fiction et non fiction. Auteur résident de Bruits de Langues 2021, il sera présent pendant toute la durée du festival et notamment lors de la journée d’études (le vendredi 5 mars). Ayant pour thème les “Intermédialités créatives”, cette journée de débats permettra de confronter des universitaires aux auteurs et autrices invités : François Beaune, Toni Fejzula, Maylis de Kerangal, Régis Lejonc, Éric Pessan, Kathrin Röggla et Lucie Taïeb.

Mercredi 3 mars : Frédérique Cosnier ou la vitalité de la pensée

Comment retranscrire la vivacité de notre esprit ? Comment illustrer le passage furtif, parfois imperceptible, de nos pensées ? Comment rendre compte de chaque émotion, de chaque sensation, de chaque envie, de chaque pulsion ? Ces flux qui parcourent notre intériorité, ces impressions qui laissent une trace, ou passent simplement, Frédérique Cosnier a su les mettre en évidence dans sa prose. Lorsque nous ouvrons Suzanne et l’influence, nous plongeons directement dans l’esprit confus de ce personnage féminin, dans la vitalité de ses réflexions, dans la soudaineté de ses émotions. Ligne après ligne, nous pénétrons l’intimité profonde du personnage, un mélange de paroles, de pensées, de réflexions, de souvenirs et de sentiments qui peuvent, parfois, provoquer le pire…

Ainsi, mon chéri, tu m’as klaxonnée comme une simple conduite accompagnée prépubère alors que tout ce que je désirais c’était rejoindre Mable. Ma Mable précieuse et rare, ma sœur au commencement de toute mémoire, ma Joconde, pour aller avec elle au cinéma, ou simplement en ville arpenter les rues pleines de Planet Sushi, pousser des soupirs sur nos poches vides. Rien ne me vrille plus les nerfs que les minables petites colères toutes mouillées d’hommes ou de femmes fébriles qui hurlent mou à l’abri de leurs carrosseries rutilantes. J’ai empoigné la clé pharaonique que j’avais emportée et j’ai vu mon corps ouvrir la portière. Sortir sous les nuages. Il faisait chaud. Pour moi, c’est mauvais. Je me suis vue avancer vers la voiture du type. Je me suis vue ouvrir la porte conducteur et me pencher à l’intérieur. J’ai compris que je ne voyais même pas la tête de l’homme mais seulement qu’il s’agissait bien de cet homme qui venait de produire le son pathétique. J’ai pensé que cet homme m’avait bien cherchée. C’était sa faute. Débusquée de mon âme véritable que je garde bien cachée mais qui s’ouvre parfois sur des colères comme des chauves-souris fusées. Il n’aurait aucune chance de s’en sortir avec moi. Il fallait juste que ça cesse parce qu’à ce moment-là, ce petit mec assis me barrait l’horizon pour de bon et c’est insupportable de rester sans appel d’air.”
Frédérique Cosnier, Suzanne et l’influence, , La clé à Molette, 2016

Pratiquant, depuis plusieurs années, la lecture à voix haute, cette rencontre avec Frédérique Cosnier propose d’ouvrir la discussion sur la littérarité de sa prose, sur sa manière très personnelle d’utiliser la langue française pour dire les tourments de l’âme. Au croisement entre monologue intérieur et discours indirect libre, l’autrice nous immisce au plus profond des pensées de ses personnages. Cette rencontre avec l’autre, cette assimilation d’une intériorité étrangère, d’une personnalité excessive, parfois survoltée, nous précipite dans un univers inconnu, au cœur même des aspérités caractérielles des personnages.

Jeudi 4 mars : Maylis de Kerangal ou la musicalité des mots

Essayer de décrire le style de Maylis de Kerangal n’est pas chose simple. À la fois poétiques, musicales et très littéraires, les phrases s’étendent, les propositions se juxtaposent les unes aux autres et les mots, utilisés dans toute leur profondeur lexicale, viennent renforcer cette prose qui invoque, à chaque virgule, souvenirs et sensations. À travers des digressions intimes et une forte empreinte synesthésique, gravée à l’aide de descriptions visuelles, auditives et odorantes, l’écriture du quotidien devient vivante, précise, percutante. On a envie de prononcer les phrases de Maylis de Kerangal à haute voix et de ne jamais s’arrêter. On a envie de lire et d’expérimenter, nous aussi, dans notre corps, dans notre bouche, au creux de notre langue asséchée, les sonorités utilisées, la musicalité des mots.

“Alors ce fut le noir et j’ai regardé de nouveau Le Guépard. J’ai reconnu les lieux. J’ai revu la Sicile immobile. Les palais, les salons immenses et les enfilades de chambres vides, les combles devenus trop vastes, les terrasses et les jardins, la campagne brûlée. J’ai retrouvé le baroque délabré, les façades qui pèlent, les murs qui tombent en lambeaux comme si le temps de la mue était venu et que la peau d’avant chutait au sol afin de faire voire la nouvelle ; j’ai scruté la décrépitude qui signe la lente dépose du temps tout autant que le manque d’argent, le manque de force ; j’ai plissé les yeux sur les champs en pente douce, leur ondulation infinie, sur les oliviers vert-de-gris et les chemins de terre où cahotent les voitures à cheval, sur l’aridité et la poussière, sur les têtes des femmes doucement secouées sous les ombrelles noires, accablées de chaleur, regards perdus dans le paysage, sur cet effritement de tout ; j’ai entendu de nouveau les aboiements du chien préféré et le rire d’Angelica lors du dîner à la table du prince, ce rire de gorge, excessif et sexuel, d’une durée obscène, ce rire qui pulvérisait la bienséance d’une société pétrifiée, cassait l’ordre social comme un son trop aigu brise un verre de cristal, un rire en forme d’exécution.”
Maylis de Kerangal,
À ce stade de la nuit, Guérin, 2014 et Verticales, 2015.

Au détour de cette rencontre avec Maylis de Kerangal, vous pourrez découvrir ses œuvres et sa manière spécifique et personnelle de mettre en lumière les folies de ses personnages et les moments magiques, aussi bien que les moments tristes ou angoissants, de leur quotidienneté. Fondatrice des Éditions du Baron Perché, l’autrice pourra également nous parler des différentes étapes de son parcours, de son statut d’éditrice à celui d’écrivaine.

Lucie Gallet, Master 1 – Livre et médiations, Poitiers

Si cette chronique anticipative a su piquer votre attention et éveiller votre curiosité littéraire, nous vous invitons à consulter le programme du festival ci-dessous et [avec tous les détails sur le site du festival

Lundi 1er Mars – Contes et catastrophes
13h30 : Ouverture
14h00 – 14h30 : Lectures scéniques
14h30 – 15h30 : Ali Zamir
15h30 – 16h30 : Laurine Roux (en ligne)
16h30 – 18h00 : Paroles de conteuses avec Michèle Bouhet et Monique Burg

Mardi 2 Mars – Histoire(s) et jeux de rôles
14h00 – 15h00 : François Beaune
15h00 – 16h00 : T.H. Gabriel
16h00 – 17h00 : Frédéric Lhomme
17h00 : Jeux de rôles (en ligne)

Mercredi 3 Mars – Mémoire(s) et politique
14h00 – 15h00 : Maria Luiza Tucci Carneiro (en ligne)
15h00 – 16h00 : Éric Pessan
16h00 – 17h00 : Frédérique Cosnier
17h00 – 18h30 : Dialogue entre Alfonso Zapico et Toni Fejzula (en ligne)
18h30 – 19h30 : Atelier avec JKal (en ligne) suivi du vernissage d’une exposition virtuelle

Jeudi 4 Mars – Observation et résistance
14h00 – 15h30 : Dialogue entre Kathrin Göggla (en ligne) et Lucie Taïeb
15h30 – 16h30 : Régis Lejonc
16h30 – 17h30 : Maylis de Kerangal

Vendredi 5 Mars – Journée d’étude
09h00 – 16h00 : Journée de débats entre universitaires et auteurs/autrices (avec Stéphane Bikialo, Catherine Rannoux, Hugo Sémilly, Ludivine Thouverez, Martin Rass, François Beaune, Toni Fejzula, Maylis de Kerangal, Régis Lejonc, Eric Pessan, Kathrin Röggla et Lucie Taïeb)

Du fait des conditions sanitaires, nous sommes contraints de réduire les jauges d’accueil. Cependant, chaque rencontre sera retransmise en direct puis en rediffusion depuis la plateforme UPtv. Nous sommes par ailleurs très heureux d’accueillir la grande majorité des auteurs et autrices sur place. Ceux et celles qui seront avec nous en ligne n’avaient pas moins envie de venir, mais ne le peuvent pas pour de multiples raisons.
Vous pourrez également retrouver des contenus supplémentaires sur le site Bruits de Langues et sur nos pages réseaux.