Agnès Thurnauer : Close Up 1 (entretien)

Courtesy de l’artiste et Michel Rein ©Floran Kleinefenn

La confrontation de l’art contemporain aux œuvres classiques est devenue un exercice de prédilection de bon nombre de musées. Le musée de l’Orangerie a été plus audacieux encore, en invitant une artiste franco-suisse, Agnès Thurnauer, à installer de façon pérenne une série de sculptures-bancs.

Chaque sculpture est composée du moule, en aluminium, d’une lettre dont l’ensemble forme le mot « chromatiques ». Ces « nymphéas-lettres » appelées Matrices chromatiques font, ainsi, écho à l’œuvre de Monet.

On peut également découvrir les œuvres d’Agnès Thurnauer, un travail pluriel autour de l’exploration du langage, dans sa galerie parisienne, Michel Rein, jusqu’au 23 janvier, et prochainement par une exposition personnelle au LaM, Villeneuve d’Ascq, fin 2021.

©Aline Pujo

Comment te présenterais-tu ?

Je suis peintre et sculptrice. Je n’aime pas le mot plasticienne !

Comment présenter ton œuvre ?

Mon travail est une recherche sur la plasticité du langage. Je m’intéresse autant au sens que l’œuvre véhicule comme pensée, qu’à la forme que cette pensée va prendre.

Ta première rencontre avec l’art contemporain ?

Mon plus ancien souvenir, c’est l’exposition de Martin Barré à l’ARC (MAM Ville de Paris), mais je n’ai pas pensé que je voyais de « l’art contemporain ». J’étais juste en terrain familier dans cette exposition car je peins depuis la petite enfance, ce qui s’appelle une vocation précoce ! (rires)

Le choc total, je l’ai eu en 1993 avec Eva Hesse au Jeu de Paume, et le catalogue qui contenait des extraits de son journal. Il donnait accès à la teneur de sa recherche au quotidien, traversée autant par des visions que par des doutes. J’ai aimé être au contact de son identité de femme artiste et de l’élaboration de son œuvre puissante. La cosmogonie de son travail a été très importante pour moi.

Exposition à la Kunsthalle de Bratislava. Courtesy Agnès Thurnauer

Tes plus grands chocs esthétiques ?

« Les Fioretti de François d’Assise » de Rossellini. En particulier, la scène où les disciples, sur le point de se séparer, tournent sur eux- mêmes comme des toupies, jusqu’à tomber à terre, pour que leur corps leur donne la direction à suivre pour partir. Pour moi, la peinture a toujours été liée au corps. Il y a une continuité et une complémentarité entre le mental et le physique.

Beaucoup de poésie, Emily Dickinson qui a été une source à laquelle je suis toujours revenue.

 L’artiste disparu.e que tu aurais aimé connaître ?

Bien sûr Emily Dickinson et Eva Hesse. Mais j’aurais aimé rencontrer Edouard Manet et Philip Guston !

Parité totale (rires). Manet est le peintre qui est le plus conceptuel et le plus pictural à la fois. Ces tableaux sont des boîtes de pandore qui interrogent sans fin la relation entre le spectateur et l’œuvre. L’autre phénomène absolu, c’est Philip Guston. J’ai une grande admiration pour la liberté des artistes et leur capacité à s’extraire de la mode. Le courage qu’il a eu de quitter l’abstraction qui l’avait rendu célèbre pour se mettre à faire ses petits tableaux figuratifs qui sont des chefs-d’œuvre.

Un.e artiste d’aujourd’hui que tu aimerais rencontrer ?

Roni Horn.

Ton musée préféré ?

Je trouve qu’un musée pour un seul tableau, c’est extraordinaire. Au musée de Villeneuve-lès-Avignon, il y a « le Couronnement de la Vierge», d’Enguerrand Quarton. Face à cette peinture inouïe est placé un grand canapé Paulin sur lequel on peut passer des heures pour le contempler. C’est merveilleux !

L’œuvre que tu aimerais posséder ?

« The studio» de Philip Guston (1969). Il y a cette figure du peintre dans l’atelier, devant sa toile, absorbé dans sa pensée, avec cette cagoule du Ku Klux Klan qui renvoie à la question de l’être politique dans la société et sa capacité à ne pas se voiler la face… Et ces tons de rose qui me transportent totalement.

Enfants dans Matrices Courtesy Agnès Thurnauer

Es-tu collectionneuse ?

Être entourée d’œuvres que l’on aime, c’est important. J’ai souvent échangé des œuvres : Jiri Georg Dokoupil, Georges Tony-Stoll, Claire Chevrier, Art and Language … j’en oublie. Et j’achète quand je peux des œuvres à de jeunes artistes comme Ernesto Sartori dont j’apprécie beaucoup le travail.

La musique qui t’émeut le plus ?

Récemment, j’ai retrouvé le «Magnificat» de Bach que j’ai écouté en boucle… « Einstein on the Beach », est un opéra qui m’a bouleversé, comme « Moïse et Aaron » de Schönberg avec le « sprechgesang ». Des chansons aussi, avec Bashung bien sûr. Et des amis musiciens, comme Guillaume Roy, son très beau disque « From Scratch ». J’ai tendance à écouter une musique en continu avant de passer à une autre.

Quel.le auteur.e a pu inspirer ton œuvre ?

Inspirer ou accompagner mon travail. Tiphaine Samoyault et son travail sur Barthes et le langage, comme sur la question de la traduction. Michèle Cohen-Halimi, avec qui j’ai souvent collaboré aussi, et dont j’attends impatiemment la sortie du livre sur le jeune Nietzsche politique, en mars prochain. L’admiration que je porte à ces autrices est aussi une énergie qui insuffle mon travail. Et le dialogue que nous entretenons m’est précieux.

Quel événement t’a marqué ces derniers temps ?

Les élections aux États-Unis avec la victoire de Kamala Harris. Que l’on puisse avoir en politique des représentants de toutes les identités, c’est vraiment la bonne nouvelle !

Quelle utopie, quel espoir pour demain ?

Une utopie écologique forcément. Une écologie sociétale qui respecte autant la nature que les rapports humains.

Vue Musée de l’Orangerie. Courtesy Agnès Thurnauer

Agnès Thurnauer est représentée par la galerie Michel Rein à Paris et Bruxelles et Gandy gallery à Bratislava