Tribune : des conditions sanitaires impossibles pour une rentrée pandémique

Lycée Mozart – Blanc Mesnil © DR

Nous, enseignants du lycée Mozart du Blanc-Mesnil avons pris connaissance lors de la pré-rentrée des enseignants des conditions dans lesquelles va s’effectuer la rentrée effective dès le lundi 7 septembre dans notre lycée. Alors même que notre département est désormais classé en zone de circulation active du virus et de vulnérabilité élevée, aucune mesure sérieuse n’est prise pour empêcher la propagation du virus contrairement à ce que le gouvernement affirme.

Ainsi, dans notre lycée, un certain nombre de problèmes sanitaires se présentent :

– Dans toutes les salles de classe les fenêtres sont oscillo-battantes et ne s’ouvrent qu’avec un angle restreint ce qui empêche toute aération des salles. Les salles donnent sur un couloir aveugle sans fenêtre : il est ainsi impossible de faire un courant d’air permettant une aération satisfaisante.
Pour ces raisons également, l’unique temps d’aération d’un quart d’heure prévu par la direction pendant les récréation ne permettra aucune ventilation réelle des locaux.

– Le lycée ne dispose que de dix blocs sanitaires soit un total de 20 toilettes et de 10 lavabos pour 1200 élèves. Le lavage des mains considéré comme essentiel par les autorités sanitaires ne sera donc pas réalisable dans ces conditions. Les élèves ne disposent même pas d’essuie-main dans les toilettes. Les propos du ministre affirmant que des travaux pour installer des sanitaires auraient été effectués dans les établissement pendant l’été sont mensongers.

Quatre distributeurs de gel hydro-alcoolique ont été installés dans les couloirs pour 1200 élèves, soit un distributeur pour 300 élèves.

– Le service de cantine est impossible à organiser dans les conditions actuelles. Les élèves et les personnels seront dispensés de mettre un masque alors même qu’il sera impossible de faire respecter les règles de distanciation. Les élèves et les personnels qui travaillent à la cantine seront  inévitablement exposés à la propagation du virus. Contrairement à ce qu’indique la campagne d’information gouvernementale, aucune organisation compatible avec « le fonctionnement normal » de l’établissement n’est possible pour la cantine.

– Rien n’est prévu pour les cours d’EPS où là encore les masques et le respect des gestes barrières seront facultatifs. La distanciation physique sera impossible à faire respecter d’autant plus que de nombreuses activités sportives favorisent les contacts rapprochés.

– Les mesures prises pour nettoyer le matériel sont là encore très insuffisantes. Il est prévu un nettoyage des salles une fois par jour, comme dans des circonstances normales. Les conditions sanitaires actuelles exigeraient que les tables et les postes de travail soient nettoyés après chaque passage de classe et d’enseignant. Or il n’est pas prévu de lingette dans les salles pour nettoyer les tables, les ordinateurs et les postes de travail. On sait pourtant que le virus se propage par le contact et cela sera d’autant plus vrai et inquiétant que les personnels et les élèves n’auront pas la possibilité de se laver les mains régulièrement.

– Les règles de distanciation seront impossibles à respecter pendant les cours. Nous ne disposons pas de tables individuelles qui permettraient d’espacer les élèves. Comme dans la quasi-totalité des lycées, la grande majorité des classes sont à 35 élèves voire au-delà dans certains établissements et sont entassés dans des salles d’une trentaine de mètres carrés à peine. Qu’en est-il des effectifs réduits et adaptés à la situation sanitaire promis au mois de mai par le ministre pour la rentrée de septembre ? Contrairement aux propos mensongers du ministre, il ne s’agit nullement d’un « cas extrême », mais des effectifs habituels des classes dans tous les lycées, notamment depuis la réforme du lycée.

– Aucune mesure n’est prise pour limiter le brassage des élèves. Les élèves se mêlent sans cesse les uns aux autres lors des récréations, des intercours, de la pause méridienne dans une cohue bien connue des enseignants et des élèves : seuls quatre escaliers sont disponibles pour 1200 élèves et la largeur des couloirs ne permet pas de respecter la distanciation d’1 mètre minimum entre les élèves.

L’injonction de blanquer d’assurer une rentrée et un fonctionnement « normal » des lycées ne laisse pas d’autre possibilité. La mise en place de la « réforme » du lycée augmente encore ce brassage : un élève ne reste plus constamment au sein d’un même groupe classe bien identifié mais avec le jeu des spécialités, il ne cesse de passer d’un groupe d’élèves à un autre en fonction des enseignements qu’il suit. Nous avons eu beau alerter à ce sujet en fin d’année dernière, nous n’avons pas été entendus.

– L’absence de mesures sérieuses pour les établissements scolaires apparaît également dans les carences par rapport à la question du masque. Alors même qu’il a été annoncé que les enseignants pourraient avoir deux masques par jour de travail, nous avons découvert qu’il s’agissait en réalité de deux masques pour l’année. Contrairement à ce que l’on peut observer dans d’autres pays, les enseignants ne sont pas dotés de masques FFP2 ni même de masques chirurgicaux mais de masques en tissu « grand public » dont on sait que les capacités de protection sont moindres, puisqu’ils ne sont constitués que de deux couches de tissu au lieu de trois comme il est préconisé. La région avait affirmé que des masques seraient distribués pour tous les élèves. Il apparaît désormais que seuls les élèves qui se présenteraient au lycée sans masque s’en verront proposer. La réserve de masques ne serait suffisante que jusqu’aux vacances de la Toussaint sans aucune garantie pour la suite.

Rien n’est fait non plus pour s’assurer que le port du masque soit viable dans la durée. Les masques en tissu distribués assurent bien souvent une moins bonne respirabilité. Or les élèves et les enseignants peuvent être amenés à porter le masque 10 heures dans la journée, en continu, sans possibilité de l’enlever, sauf dans l’enceinte de la cantine. On s’oriente inévitablement vers des malaises et des élèves qui finiront par refuser de porter le masque toute la journée. Il faut nécessairement que certains espaces soient prévus où les élèves et les personnels qui en éprouveraient le besoin puissent enlever le masque quelques minutes dans la journée tout en respectant les gestes barrières et les conditions sanitaires, ce qui serait possible dans la cour du lycée s’il existait un protocole adapté. Mais rien n’est prévu pour cela et le ministère ne semble pas s’en soucier.

Lycée Mozart – Blanc Mesnil © DR

– Se pose enfin le problème de la gestion des cas de suspicion d’infection ou d’infection confirmée. Là encore absolument rien n’est prévu. Aucun test n’est proposé. Les personnes qui auraient des symptômes sont renvoyées vers leur médecin traitant, comme s’il s’agissait simplement d’un problème individuel. Or un certain nombre de collègues avec des symptômes risquent d’être réticents à se mettre en arrêt maladie de peur de se voir sanctionnés d’une journée de carence. Là encore aucune garantie n’est donnée en ce sens. Aucun protocole n’est définit en cas de COVID+ d’un membre du personnel ou d’un élève et aucune politique de test systématique n’est mise en place, aucune définition de ce que l’on considère comme un cas contact en milieu scolaire ne nous a été donnée.

L’institution prétend vouloir traiter les choses au cas par cas comme s’il allait s’agir de cas individuels et isolés, et comme s’il s’agissait avant tout de masquer et de minimiser les cas qui allaient se déclarer. De ce point de vue, absolument rien n’a changé depuis mars dernier et les choses semblent être prises avec exactement la même légèreté : on a vu ce que cela a donné.

Les dispositions actuelles sont la transcription des recommandations faites par le Haut Conseil à la santé quand le virus ne circule plus. Or, au dire de ces mêmes autorités sanitaires, nous sommes entrés dans une période de forte circulation du virus qui a conduit à classer notre département en zone à forte vulnérabilité.

La politique actuelle du gouvernement conduit simplement à rejeter la diffusion du virus sur la responsabilité des individus, qui seront accusés de ne pas avoir respecté des gestes barrières de toutes façons impossible à respecter, ce qui permet à l’institution et au pouvoir public qui n’ont rien organisé — qui ne nous ont donné aucun moyen humain supplémentaire pour garantir des conditions matérielles et d’organisation permettant d’assurer la sécurité des élèves — de se défausser de toute responsabilité.

Nous dénonçons cette hypocrisie et cette politique de déresponsabilisation des autorités publiques. Nous souhaitons poser clairement au ministère et au recteur qui décident d’ouvrir les établissements scolaires dans ces conditions la question suivante :

Au vu des conditions que nous décrivons et qui sont la réalité de la quasi-totalité des lycées et des établissements scolaires, assumez-vous d’exposer ainsi les élèves, leur  famille et les personnels à la diffusion du virus sans les protéger ?

Nous rappelons que l’institution a l’obligation d’assurer la sécurité et de ne pas exposer les élèves et les personnels à des risques graves pour leur santé.

Banderole Lycée Mozart © DR

Le ministère de l’éducation nationale doit dès à présent mettre en place les dispositifs prévus pour cette situation comme c’est le cas dans de nombreux autres pays qui ont, eux, investi pour cette rentrée et ont réfléchi depuis le mois de mai dernier, en concertation avec les enseignants, à des dispositifs adaptés : cours en effectifs réduits, achat de tables et de matériel pour assurer la distanciation sociale, embauche de personnels supplémentaires pour assurer l’accueil du maximum d’élèves, réduction des plages horaires de cours pour assurer une ventilation optimale des salles.

Dans la situation actuelle, nous sommes mis face à une situation impossible qui met en danger la santé et la sécurité des élèves, des enseignants et de leurs familles. Aussi, nous arrêterons le travail si nos demandes ne sont pas entendues.