Billet proustien (24) : La sœur scato du liftier

Marcel Proust (Wikimedia Commons)

Au Grand Hôtel, les montées d’ascenseur varient avec le style et la conversation du liftier. Et, à chaque fois, cela donne un petit instantané plaisant. Or, celui que voici et qui est d’un “chasseur louche” ira loin dans l’indécence scatologique. À n’en pas croire les oreilles de Marcel ni les nôtres. Au début, vif éloge de la sœur dans un français populaire par quoi le “chasseur” trahit sa condition :

« Vous savez, Monsieur, c’est une grande dame que ma sœur. Elle touche du piano, cause l’espagnol. Et vous ne le croiriez pas, pour la sœur du simple employé qui vous fait monter l’ascenseur, elle ne se refuse rien.

Puis vient la révélation stupéfiante des exploits habituels de ladite sœur en voyage :

« Elle ne quitte jamais un hôtel sans se soulager dans une armoire, une commode, pour laisser un petit souvenir à la femme de chambre qui aura à nettoyer. »

Nous apprendrons encore que le père a procuré à un frère de la sœur scatophile une position “superbe” auprès d’un prince indien, qui doit bien passer par la prestation de quelques services sexuels. Puis vient, alors que l’on touche au terme du “voyage” ascensionnel, cette énormité burlesque :

« Il n’y a que moi jusqu’ici qui suis resté sur le carreau. Mais on ne peut pas savoir. La chance est dans ma famille ; qui sait si je ne serai pas un jour président de la République ? »

Mais, alors qu’il reçoit un pourboire, l’inlassable vantard en remet une couche, si l’on ose dire, au prix d’un méchant calembour déniant toute solidarité prolétarienne :

« Si tout le monde avait aussi bon cœur que vous il n’y aurait plus de malheureux. Mais, comme dit ma sœur, il faudra toujours qu’il y en ait pour que, maintenant que je suis riche, je puisse un peu les emmerder. »

Ainsi, conjoignant l’excrémentiel et le sexuel, Proust s’abandonne à un érotisme élargi en des termes que ratifiera Georges Bataille vers le milieu du XXe siècle.

Sodome et Gomorrhe, II, chap. III, Folio, p. 369.