Néo-romantiques et néo-dandys, entretiens (6) : Cecilia Ramos

Cecilia Ramos (archives privées)

Qu’est-ce être romantique aujourd’hui ? L’enquête se poursuit, avec Cecilia Ramos, réalisatrice et scénariste.

Poupée de porcelaine andalouse, avec son port de tête de danseuse et sa pâleur féérique, elle est une Alice au pays de merveilles au royaume des morts. Ses créations cinématographiques magiques, poétiques, gothiques, asiatiques, fusionnent les rêves d’enfance, le désir d’échappatoire et les cauchemars de l’incommunicabilité. Diplômée du « Master Professionnel Scénario Réalisation » de la Sorbonne, elle travaille un temps comme assistante réalisatrice et scripte avant de se consacrer à l’écriture et à l’art du thé. Elle réalise plusieurs courts-métrages dont La Réparation, primé dans une quinzaine de festivals, ainsi que des scénarios d’épisodes de séries animées et de films muséographiques. Cecilia Ramos continue de développer son univers personnel à travers plusieurs projets de séries, de longs-métrages et de documentaires.

Que garde-t-on du XIXe siècle ?

Pour la société. Peu de choses. Pour moi, beaucoup. En premier lieu, une certaine idée de l’Art comme forme d’échappatoire, amorcée un peu plus tôt par Rousseau, dans ses rêveries. Un autre rapport au temps ou à l’ailleurs, aussi, avec par exemple, la naissance du style néogothique ou du courant orientaliste. Et puis, ce que j’ai envie de garder, ce sont des combats sociaux qui font écho à ceux d’aujourd’hui. Je pense par exemple aux premiers mouvements féministes et à la signature de la Convention de Seneca Falls en 1848. A la question écologique, aussi, et à notre rapport à la surindustrialisation et à la pollution urbaine. Il suffit pour cela de nous replonger dans nos lectures scolaires, Zola ou George Sand pour se rendre compte à quel point les luttes sont comparables. Un siècle nous sépare pourtant du XIXe, mais les deux époques sont témoins de mouvements finalement assez similaires…

Le terme « romantisme » désigne aujourd’hui tout autre chose. Quelle serait votre définition ?

Je crois qu’elle serait triple. D’abord, je dirais que le romantisme, c’est le choix du sensible.
Si le romantique se démarque au sein d’un groupe, c’est parce qu’il a fait un chemin intérieur qui lui a permis d’assumer ses fragilités. Et par là même, de s’assumer aux yeux des autres. Cette sensibilité peut prendre forme par une exaltation permanente, même pour les petites choses du quotidien. Verser quelques gouttes de thé dans un bol aussi bien que faire l’expérience du sublime par une nuit d’orage.
Ensuite, le romantisme est pour moi synonyme d’altruisme et d’empathie. Et c’est d’ailleurs parce qu’il se place sous le signe sensible, qu’on met souvent le romantique dans la case de l’égocentrique, de l’instable émotionnel, de celui qui manque de lucidité. J’y vois plutôt le contraire. Les sens du romantique sont exacerbés et il y a une forme de clairvoyance et de compréhension de l’autre supérieure qui naît de cela.
Enfin, je crois qu’il y a dans le romantisme une forme d’insolence. Il y a dans ce mouvement un refus de la hiérarchie, une opposition au conformisme et aux grands courant de la pensée du moment.

Vos habitudes de dandy ?

Il faudrait déjà s’accorder sur sa définition. Parce que j’ai le sentiment que ce qu’il reste du « dandy », c’est une silhouette, une attitude, un peu affectée, un peu précieuse. Et je n’ai pas l’impression de me retrouver dans cette définition là. Par contre, c’est vrai que je suis finalement toujours à la recherche d’un supplément d’âme aux choses qui vont entrer dans ma vie, ce petit plus qui me fera me sentir hors du temps et de l’espace.

Pour m’y aider, j’ai tendance à tout ritualiser. A commencer par le thé, que je consomme en très grande quantité chaque jour. Mes infusions se font dans une vaisselle adaptée à chaque saison, chaque lieu et à chaque type de thés. Ce sera un Gaïwan pour les grands crus de Oolong, une théière en terre de Yixing pour les Pu-erh, un Kyusu pour les Sencha ou les Gyokuro, de la porcelaine de Chine pour les thés Assam, consommés à la mode anglaise.

Et puis quelque chose qui paraît très « dandy », c’est mon incapacité à travailler n’importe où et n’importe quand. Si j’avais le choix, je ne le ferais qu’à la tombée du jour : je suis un oiseau de nuit et l’obscurité me stimule. Mais voilà, je suis parfois rattrapée par les contraintes d’écriture et les échéances imposées. Alors, lorsque je dois avancer en journée, j’aime me réfugier dans des lieux qui m’élèvent par leur beauté et leurs murs chargés d’histoire, comme par exemple le site Richelieu de la BNF.

Un texte ? Une œuvre ? Un film ? Partagez vos références néo-romantiques.

Je suis en ce moment plongée dans la lecture des deux extraordinaires volumes dirigés par Alain Morvan dans la Pléiade : Frankenstein et autres romans gothiques et Dracula et autres écrits vampiriques. Les introductions de ces deux anthologies sont brillantes et les notes, très riches, donnent un souffle nouveau à des textes qui m’étaient pourtant familiers… En poursuivant dans le monde du cinéma, je suis obligée de mentionner Nosferatu de Murnau, à la grammaire cinématographique si novatrice ; Vincent ou Sleepy Hollow de Tim Burton, beaux hommages à l’expressionnisme allemand ; Suspiria de Dario Argento. Et puis, dans un registre moins noir, deux autres films Le fantôme de Mme Muir de Mankiewicz, une histoire d’amour d’une rare beauté, et Bright Star de Jane Campion. Ce dernier film nous plonge dans la relation épistolaire passionnée du poète Keats et de sa compagne, Fanny. En musique, Debussy, Purcell et chez nos contemporains, Dead Can Dance et Tavener. Enfin, pour terminer sur une touche plus adolescente, j’ai envie de citer un jeu vidéo : Alice Madness Returns du créateur American McGee, une variation sur l’œuvre de Lewis Caroll sombre et poétique. Un film : Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire, à la direction artistique merveilleuse jusqu’au générique final, petit bijou de l’animation. Et une série japonaise qui traverse les époques : GeGeGe no Kitarō.

Suspiria © Dario Argento

Un secret de votre art de vivre ?

Je suis d’un naturel anxieux, et lorsque j’ai dû arrêter la pratique de la danse il était vital que je trouve une activité de substitution. J’ai commencé par un art martial interne, le Tai chi, qui permet de travailler l’encrage au sol et le souffle par le mouvement. Parallèlement, j’ai approfondi ma pratique du Gong fu cha, la cérémonie chinoise du thé. Puis je suis venue à pratiquer le Sadō – ou Chadō –, la Voie japonaise du thé. De cette dernière, je tire notamment deux beaux enseignements. Le premier est contenu dans le principe de l’« ichi-go ichi-e » 一期一会 , maxime calligraphiée et très souvent accrochée dans les pavillons de thé. Elle nous encourage à être là, dans le présent, et à prendre conscience du caractère éphémère et précieux du partage d’un thé. Le second, c’est ce précepte résumé par la formule « onko chishin » 温故知新, qui incite à étudier les choses anciennes si l’on veut prétendre connaître de nouvelles choses. Ces deux philosophies de vie habitent mon quotidien et expliquent mon amour pour les lieux, les histoires et les objets du passé ainsi que le plaisir que je ressens à inviter mes proches à partager un thé.

Un ou des plaisirs d’héroïne romantique ?

Petite, ma mère me poussait à écrire du courrier postal lorsque j’étais en vacances. Cette habitude ne m’a jamais quittée et, d’une certaine manière, je lui dois ma rencontre avec la personne qui partage aujourd’hui ma vie. Je garde aujourd’hui un rapport très particulier à l’écriture manuscrite, que ce soit pour ma correspondance ou pour mon travail de scénariste. Et puis, comme les sœurs Dashwood ou Elizabeth Bennet dans les textes de Jane Austen, j’aime passer du temps à marcher dans la nature, à rêvasser face à une mer agitée. J’aime me perdre dans le secteur romantique des cimetières, taquiner les corneilles, regarder les feuilles tomber, observer les nuages ou les flaques d’eau. Je garde cette coutume de mes jeunes années où j’avais l’habitude de faire de la photo en solitaire.

Envie de vous échapper du monde par le rêve et par l’art ? Comment procéder.

A notre époque où les relations humaines sont plutôt malmenées, cela touche presque au vital ! Pour ma part, je m’échappe par l’écriture de projets personnels, par des journées passées à la bibliothèque, par des sorties culturelles ou des voyages. Mais ce qui me permet de vraiment m’élever, c’est ma pratique de l’art du thé. Dès lors que je m’installe sur les tatamis dans le chashitsu – le pavillon de thé-, je me sens hors du temps. Mes contrariétés sont mises entre parenthèses, mon équilibre est retrouvé. Au-delà de l’aspect cérémoniel, qui peut paraître étouffant, la voie du thé est, pour reprendre les mots des maîtres, une philosophie de vie, un long chemin – très long, même puisqu’on considère qu’il faut une dizaine d’années de pratique pour commencer à la maîtriser. Et puis, au delà du thé, je retrouve également ce sentiment d’abolition de l’espace et du temps dans mes relations aux œuvres d’art ou aux pièces artisanales. Rien ne me rend plus heureuse que de sentir l’unicité de ma relation à un objet. Un chawan, un kōgō, une estampe. Savoir qu’il ou elle a traversé les époques jusqu’à moi… Quel privilège…

Comment survivre à l’amour fou ?

Lequel ? Celui qu’on perd à la suite d’une rupture ? D’une disparition ? Ou celui qui nous tombe dessus sans l’avoir cherché et qui nous consume ? Quoi qu’il en soit, je crois qu’il faut s’efforcer de rester en action. Ecrire, créer…même si on ne se sent pas l’âme créative. Pour l’avoir souvent citée auprès des mes amis ayant traversé ce type d’épreuve, je dirai qu’il faudrait finalement être dans une dynamique proche de celle de la plasticienne Sophie Calle lorsqu’elle a produit, en 2007, son fameux « Prenez soin de vous ». A l’origine il y a ce mail de rupture qu’elle reçu et qui s’achevait par un « prenez soin de vous ». Déboussolée, l’artiste avait sollicité une centaine de femmes de toutes professions pour commenter, disséquer, analyser, le dit mail. Afin de l’épuiser, de le comprendre, de passer à autre chose. Il faudrait, dans une situation de survie sentimentale, arriver à exorciser pour ne pas se laisser totalement submerger. Et quand on n’est dans l’incapacité de le faire par soi-même, les autres peuvent souvent nous y aider.