Le Festival du Cinéma de Brive 2019 en quatre films

Du 2 au 7 avril 2019 se tenait le Festival du moyen métrage de Brive. Un festival unique en son genre mettant en avant un format méconnu, entre le long et le court, faisant pourtant pleinement partie du paysage cinématographique. Parmi les 21 films en compétition, et dans les limites inhérentes aux festivals, 4 films émergent en particulier de cette 16e édition extrêmement riche.

Daniel fait face de Marine Atlan

Dès les premiers instants de son film, Marine Atlan installe une fascinante ambiance d’inquiétante étrangeté. La caméra flotte dans une maison aux quatre vents pour s’arrêter sur un enfant qui dort profondément. Suit un plan sur un arbuste dont semble émaner le cri glaçant d’une femme, rompant soudainement le silence qui régnait jusqu’alors, tandis qu’une surimpression révèle le visage de Daniel, réveillé.

À 10 ans, le garçon a ses copains d’école mais est plutôt mutique. Alors que le spectacle de fin d’année se prépare, il s’égare dans les couloirs de l’école. Une porte qui claque suffit à rappeler Fanny et Alexandre. Dehors, la neige tombe, et l’enfant est intrigué par un arbre de la cour de récréation qui, contrairement aux autres totalement dénudés, a toujours des feuilles. Ses pas le mènent aux vestiaires où il se risque à épier Marthe avec gêne alors qu’elle enfile son costume. La robe blanche désuète, la lumière et le voyeurisme confèrent à la scène une allure de XVIIIe. Démasqué, il ne dit rien, elle s’enfuit, choquée.

© Bathysphere

Ce qui se joue là est la naissance des désirs, le basculement de l’enfance à l’adolescence pour lui, comme pour elle, qui s’amusera ensuite à décliner ses excuses. Une fin de l’innocence aussi, symbolisée par la promesse de l’administration paranoïaque de faire un exercice de confinement pour intrusion de terroriste. Quand l’alarme retentit, l’attachant animateur, improvisé metteur en scène, désemparé devant les enfants profitant de la panique pour jouer (quelle lucidité), aura d’ailleurs cette phrase parfaite : « Démerdez-vous, je suis pas un héros national, moi… ». Aux tambourinements violents sur la porte du gymnase où ils sont retranchés, se substitue le silence sur un plan très pictural montrant Marthe recroquevillée et dont la peau est surimpressionnée par des motifs floraux, avant de s’envoler vers du Schubert. Car la poésie, et le jeu, semblent constituer les seules véritables échappatoires aux folies des adultes prêtes à les envahir.

Braquer Poitiers de Claude Schmitz

Duo de pieds nickelés désarçonnant, Francis et Thomas réfléchissent à la manière de mener des petites combines et autres arnaques. Débarqués dans un village, ils repèrent une station de lavage automatique à braquer. Ils se lient d’« amitié » avec Wilfried, le propriétaire, un châtelain solitaire qui, feignant de ne rien savoir dans un premier temps, les laisse régulièrement vider la machine de pièces en toute quiétude. Les deux acolytes sont rejoints par deux de leurs amies qui vont troubler cet équilibre. Le postulat de cette situation, pourtant complètement absurde, est accepté sans trop de difficulté et tout se passe dans une sérénité qui est la source d’un comique déconcertant. Au fil du film, on apprend à aimer ces personnages un peu maladroits et faussement idiots. Les dialogues bruts sont posés comme les plans frontaux, donnant l’impression d’une certaine simplicité. Mais là où nombre de metteurs en scène seraient tombés dans le propos social ou méprisant, Claude Schmitz pose un regard décalé et tendre sur ces ces anti-héros d’une France « périphérique » aux logiques à rebours de l’ordre régissant notre société.

Les amoureux de Pablo Dury

Paulo Dury signe avec Les amoureux un film formellement grandiose, enchevêtrant de manière très organique plusieurs histoires d’amour en jouant sur la distance entre les temporalités, les commentaires écrits et le montage. On pénètre ainsi par un zoom et un son parfaitement travaillé dans une forêt luxuriante pour rejoindre une jeune femme et un jeune homme se tournant autour. L’archaïsme, leur animalité rencontrent l’histoire contemporaine de deux adolescents de 16 ans qui se rejoignent après le lycée, histoire racontée dans un texte positionné au milieu de l’image.

Leur histoire d’amour est celle d’un couple primordial, matriciel, dont les successeurs ne seront que des variations. En présence symptomatique d’un mythe, on rapprocherait volontiers ce geste cinématographique de ceux de Miguel Gomes avec Tabou notamment, ou d’Apichatpong Weerasethakul, mais sans mimétisme aucun. Si les bruits de la faune et de la flore envoûtent, chaque plan fascine par sa beauté photographique. Leur accolement fait rêver.

Une hallucination, c’est peut-être ce qui saisit le personnage du deuxième volet.  Seul depuis des semaines en forêt, il construit une cabane. Un soir, il trouve une femme ayant perdu connaissance et dont l’avant-bras est ensanglanté, amputé, comme mordu. Son regard croise celui d’un homme tapi dans l’ombre immobile et dont les yeux brillent, rappelant les hallucinations de Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures), de Apichatpong Weerasethakul.

La séquence la plus troublante n’éclipse pour autant pas une autre plus inventive au cours de laquelle des oiseaux et des étoiles dialoguent, avec sous-titrage, de choses très triviales. Ce concert a la vertu de nous rappeler leur existence et leur intelligence, qu’ils font pleinement partie de la symphonie de l’univers, et de déconstruire l’anthropocentrisme bêtement hiérarchisant.

Le dernier volet s’ancre dans un village de nos jours, et met en scène deux adolescents qui se rencontrent pour la première fois. Ils ne le perçoivent pas mais la tragédie est en cours : portés par des forces qui les dépassent, ils se séduisent, se plaisent, hésitent. Entremêlés de ce passé et de ce futur scellés, il ne sont pourtant pas moins dans la vérité d’un présent qui leur appartient. Leur histoire est ainsi la leur, comme celles qui la précèdent, celles qui lui succèderont, celle de tout le monde.

D’un château l’autre de Emmanuel Marre

Quelque difficulté à appréhender avec sérénité D’un château l’autre avec lequel Emmanuel Marre remporte le Grand prix du jury tant il oscille entre une sincère sensibilité et une certaine ambiguïté. Son jeune personnage n’a semble-t-il aucune boussole politique et va au gré de sa curiosité d’un meeting d’Emmanuel Macron à un autre de Marine Le Pen, sans n’émettre aucun avis critique sur les idées ou n’y trouver une quelconque satisfaction pour autant. Cette errance désorientée – qui a néanmoins lieu uniquement sur les terres de droite – a de quoi braquer. Car pour y répondre, rien dans l’histoire ou dans la mise en scène, si ce n’est, sur un autre niveau, une indéniable beauté dans la relation qu’il noue avec la veille dame chez laquelle il loge, et pas même le joli laïus de cette dernière sur son engagement féministe pendant 30 ans.

L’affection qu’ils se portent, construite de leurs petites engueulades quotidiennes ou de leurs conversations plus intimes, connaît son apogée lorsque le jeune homme pose pudiquement sa main sur l’épaule de sa colocataire tandis que celle-ci éclate en sanglots, confessant que ses enfants ne viennent quasiment plus la voir. La rencontre au sommet de deux solitudes. Ses enfants n’apparaîtront qu’à la fin, le jour de l’élection de Macron, pour lui notifier avant les résultats qu’ils décident de la placer en maison de retraite et qu’il devra déménager.

Lui, ne comprend pas. Il se rend, comme d’autres, dans la cour du Louvre pour assister au grand concert de célébration de la victoire du président élu. Un long plan sur son visage sidéré dit avec une certaine virtuosité la violente désillusion de toute une partie de la population devant les trahisons des Hommes politiques au fil des élections. Mais cette acuité dans le constat d’un monde qui se meurt et d’une jeunesse en perdition en ces deux personnages, n’est portée ou accompagnée d’aucune autre énonciation. Devant ce vide, s’engouffre en toute logique un doute entretenant un malaise et le soupçon d’un nihilisme revêtant l’habit d’une sorte d’anarchisme de droite dont le titre emprunté à l’ouvrage de Louis-Ferdinand Céline met déjà sur la piste.

Remarquables aussi, le film expérimental de Gücan Keltek, Gulyabani, Tonnerre sur mer de Yotam Ben David et Film catastrophe de Paul Grivas. En parallèle de la compétition, on retiendra particulièrement la rétrospective de 4 films de l’immense Jean-Daniel Pollet avec notamment Pour mémoire et L’odre, mais aussi la carte blanche jubilatoire accordée à Yann Gonzalez et Bertrand Mandico : La loterie de la vie de Guy Gilles, Le conte des contes de Youri Norstein, Images d’une libération de Lars Von Trier, Tongues Untied de Marion Riggs, Une histoire immortelle d’Orson Welles et Le labyrinthe d’herbes de Shuji Terayama. Les deux réalisateurs magiciens ont enfin sublimé la projection du film muet de Pierre Clémenti monté par son fils, La deuxième femme, en passant des vinyles en direct. Un des moments les plus mémorables de ce festival.

Les films primés seront projetés au cinéma L’archipel les 21, 22 et 23 avril 2019.

PALMARÈS 2019

Grand Prix
D’un château l’autre de Emmanuel Marre

Prix du jury ex-aequo
Vie et mort d’Oscar Pérez de Romain Champalaune
Juste un jeu de Daniela Lanzuisi

Prix du Jury Jeunes ex-aequo
Akaboum de Manon Vila
Daniel fait face de Marine Atlan

Prix du public
Le Chant d’Ahmed de Foued Mansour

Prix de la distribution
Topo y Wera de Jean-Charles Hue

Prix Ciné+ ex-aequo
Daniel fait face de Marine Atlan
Braquer Poitiers de Claude Schmitz

Concours de scénario
Je n’embrasse pas les images de Pascal Hamant
Mentions spéciales : Le Varou de Marie Heyse
et La Sœur de DiCaprio de Lucie Anton

Prix de la Maison du Film
Pour le projet : Youssou et Malek de Simon Frenay