Chroniques anticipatives: Festival Bruits de Langues 2019

Les bruits de langues, ils se tendent et se braquent, ouvrent les mots pour sortir des livres. Ils rentrent, insidieux, dans vos oreilles et murmurent quelque chose qui vient du fond. Ces bruits de langues, dans la bouche d’autrices et auteurs contemporains, racontent quelque chose qui gronde. Une envie de dire, crier, dessiner, filmer, chanter, rapper, lire et partager. Et surtout une nécessité, une urgence à écrire pour donner voix aux invisibles.

Un lundi 4 février en migration poétique

Quand on se déplace à une rencontre littéraire, on ne sait pas toujours très bien à quoi s’attendre. On a un peu peur de l’intellect abusif, du vocabulaire trop précis, d’un sujet de lettré.

Ici on trouvera une autrice qui, avant de parler d’elle, raconte l’autre. Marie Cosnay écrit pour les Sanza lettere – ceux qui n’ont pas la langue pour le dire eux-mêmes. Depuis des années elle milite et s’engage auprès des migrants dans sa vie privée comme dans ses écrits. Elle nous raconte les anecdotes de son quotidien et la littérature devient un rempart contre la peur, la haine et l’oubli. Et quand son écriture se fait plus poétique et personnelle, on y retrouve toujours son engagement. Phrases hachées, sans début ni fin, comme un souffle qu’on ne peut pas retenir ni interrompre ; c’est l’urgence de dire qui s’exprime. Nous avons peut-être besoin de cela pour avancer, une couche de poésie pour révéler la crasse d’une humanité qu’on abandonne, réveiller en nous les fragments de colère qu’il nous reste. Les assembler et ensemble trouver la langue pour parler à cet autre qui se meure de nos silences.

Un mardi 5 février qui brûle la misère 

Parfois on aimerait juste prendre un bon livre et oublier notre quotidien. Oublier les colères sourdes qui se fardent de jaune, la misère qui se glisse à tous les coins de rue, les violences du pouvoir qui meurtrissent les corps en silence.

Ce n’est pas ce qui vous attend en venant à la rencontre d’Arno Bertina. L’auteur des Châteaux qui brûlent use de l’écriture pour réveiller ce qui blesse et dénoncer ce qui brûle en marge des médias. En inventant un abattoir – largement inspiré par le cas de Doux – placé en liquidation judiciaire, il en raconte dix autres bien réels et donne la parole à la souffrance des salarié·es. En écrivant l’enlèvement d’un secrétaire d’État qui se transforme en kermesse, il raconte les luttes qui s’opèrent en chacun de ceux qui n’ont plus rien à perdre. Ceux qui n’ont déjà que les miettes, seulement de quoi survivre et qui ne savent plus ce que c’est, vivre. Et chacun de ces salarié·es, longtemps considéré·es comme une masse invisible, a droit à la parole pour écrire sa propre histoire, de son point de vue. De la militante assurée au suiveur discret qui se préserve en petit bonheur secret, de l’abandon à l’espoir ; chacun a sa place dans ce grand combat quasi universel des « grand » contre les « petit », de la richesse contre la misère. Arno Bertina glisse de l’humain — de celui qu’on croise au supermarché — dans ses écrits et dénonce la violence de la pauvreté, de ceux qui nourrissent toute une famille pendant deux mois avec 1200 euros, quand les médias parlent de la violence d’une chemise de PDG arrachée.
Bien sûr ça remue, ça secoue et ça semble bien trop d’actualité pour être entendu à demi, mais ce bruit de langue-là dans vos oreilles se révèle de plus en plus nécessaire.

Un mercredi 6 février à déterrer nos mots poussières

Ce qu’il y a de bien avec la littérature — quand on la touche de près, quand on la questionne, la triture — c’est que ça fait naître des envies. Des découvertes. Et des envies de faire partager ces découvertes. Les Fossoyeuses de Littérature portent leur nom à l’envers et cherchent à déterrer les écrits de leurs tombes d’oublis. Faire entendre des voix féminines enfouies sous les décombres, faire voir leurs mots, ceux qui les ont touchés.

Elles sont trois et s’amusent à rendre visible une littérature d’oublié·es, à travers une édition de petits livres colorés.

On les retrouvera dans un lieu propice à la dégustation graphique, au sein de la Fanzinothèque du Confort Moderne. C’est là, entourées et inspirées par les milliers de fanzines de tout genre, qu’elles nous présenteront la création toute récente de ces éditions engagées et revigorantes. Ce qu’il y a de bien avec la littérature c’est qu’elle appelle au partage. L’envie que les mots qui nous touchent ne disparaissent pas dans l’oubli et qu’ils soient offert à une personne aimée, à son voisin, à la boulangère, au caissier, aux inconnu·es. C’est bien ce que font les Fossoyeuses de Littérature, en sélectionnant des extraits, des passages entiers, des phrases de ces autrices qui les ont marqués.   

Un jeudi 7 février qui se rap en poésie 

On l’imagine seul chez lui, la nuit, enfoncé dans son canapé. Ou peut-être que c’est arrivé dans le métro, dans la salle d’attente du médecin. Peut-être même que ça avait déjà commencé à la caisse de la librairie. Ce moment où, tournant les pages en silence crispé, il découvre les mots du poète. Son argot populaire, ses hachures qui racontent la misère, la langue âpre et figurée qui parle de la rue. À quel moment de sa lecture a-t-il su ? Quel mot, quelle phrase, quel rythme l’ont convaincu de s’emparer de ce texte pour le faire sien et le faire renaître par la voix ?

Oui on peut imaginer cette rencontre silencieuse et sacrée, mais peut-être bien qu’il a fait tomber des gouttes de café sur le livre, peut-être qu’il a mis du temps à s’y plonger et peu importe. Il y a eu cette rencontre. Entre un jeune rappeur, Vîrus, à la plume acérée et sombre, et un vieux poète du XIXe siècle, Jehan-Rictus, libertaire et engagé.

En écoutant le rappeur et en lisant le poète on imagine bien ce que le premier à pu trouver chez l’autre. Les similitudes, cet amour du jeu avec avec la langue, cet usage des mots et du rythme pour dénoncer.  Vîrus fait revivre le texte de Jehan-Rictus, le réactualise, lui donne un nouveau souffle, lui offre une nouvelle voix. De l’écrit à la parole, ils font entendre l’expression d’une parole sociale singulière : celle de « ce bon pauvre, dont tout le monde parle et qui se tait toujours ».

Maintenant on imagine un spectacle puissant, où rappeur et poète ne font plus qu’un. Où l’on ne sait pas très bien s’il faut s’asseoir, danser, écouter, fermer les yeux. Peut-être juste ressentir et se laisser porter par l’expérience d’un concert littéraire.

Les Bruits de Langues, c’est aussi soutenir des autrices et auteurs qui débutent ou confirmé·es, mettre en avant la diversité des arts (bande dessinée, performance, lecture, concert littéraire, ateliers d’écritures…) et des littératures de toutes langues (allemand, occitan, portugais…). Quatre jours riches et variés pour rencontrer ou découvrir une littérature vivante, qui bruisse sur le monde.

Le festival Bruits de Langues aura lieu du 4 au 7 février 2019 dans la salle des actes de l’UFR Lettres et Langues sur le campus de l’Université de Poitiers. Les soirées rencontres et lectures auront lieu en centre-ville.

Lundi 4 février

14h : « Youri Gargarine n’est pas une cantatrice d’opéra » – conférence d’Elitza Gueorguieva
14h30 : Camille Cornu et Elitza Gueorguieva – rencontre littéraire
16h : Marie Cosnay – rencontre littéraire
17h : Alexander Kluge – rencontre littérature allemande
19h30 : « La langue de l’hôte, le retour. » Camille Louis et Marie Cosnay – conférences-débats (Espace Mendès France, centre-ville)

Mardi 5 février

14h : Camille de Toledo – rencontre littéraire
15h : Arno Bertina – rencontre littéraire
16h : Nathalie Fillion – rencontre littéraire
17h : Victor Abbou et Simon Attia – rencontre littéraire et langue des signes
20h : Nathalie Fillion – Atelier de lecture contemporaine (Maison des Trois Quartiers, centre-ville)

Mercredi 6 février

13h30 : Robin Cousin et Benoît Preteseille – rencontre BD
14h : Bénédicte Heim – rencontre littéraire
16h : Alidé Sans et Geneviève Charlot – Rencontre littératures et musiques régionales
19h : Les Fossoyeuses de Littérature – Lancement des éditions et performance féministe (Fanzinothèque, Confort Moderne)

Jeudi 7 février

14h : Clotilde Escalle – rencontre littéraire
15h : Vîrus – Rencontre autour de son spectacle “Les Soliloques du pauvre”
16h : Thierry Illouz – rencontre littéraire
17h : Valério Romão – rencontre littérature lusophone
21h : “Les Soliloques du pauvre” – concert littéraire (Maison des Étudiants, campus)