Tribune pour une école pensée : abrogation de la réforme des lycées

2.650 suppressions de postes dans les collèges et lycées à la rentrée 2019, pour des effectifs élèves qui, selon les chiffres du Ministère, doivent augmenter d’environ 30.000 élèves par an jusqu’en 2022 !

Refuser les suppressions de poste au sein de l’école, c’est refuser une logique de privatisation masquée de l’éducation. Les pires principes qui traversent et détruisent les conditions de travail au sein du secteur privé s’ancrent encore plus au cœur de l’école. Courte vue, concurrence, performance à tous les niveaux, flexibilité, rentabilité, management paternaliste, le mépris pour le travail des élèves et des enseignants sont en effet à l’œuvre derrière les réformes.

Les réformes qui touchent aujourd’hui le lycée professionnel comme le lycée général naissent de logiques comptables, budgétaires et non pédagogiques. Diminuer les horaires de l’enseignement général en lycée professionnel n’aura aucune vertu émancipatrice pour les élèves, et rendra leur accès à l’enseignement supérieur plus difficile encore qu’il ne l’est aujourd’hui. La diminution touchera également les matières générales de l’enseignement technique et l’enseignement général dans son ensemble.

Car la réforme ne parle pas de pédagogie mais d’économies : la nouvelle organisation du lycée est ainsi la conséquence plus que la cause de la volonté de supprimer des postes. La suppression des séries L/ES/S vise avant tout à diminuer le nombre de classes, en regroupant les élèves, et donc le nombre d’enseignants. La suppression du nombre de postes augmentera nécessairement le nombre d’élèves par classe : attendons-nous à atteindre le seuil de 35 partout, dans toutes les disciplines, à tous les niveaux.

La réforme met en concurrence des lycées généraux entre eux, par la palette plus ou moins réduite des spécialités qu’ils offriront aux élèves. Elle met aussi en concurrence les disciplines au sein de chaque lycée, tant du fait de spécialités mal définies (histoire-géographie-géopolitique-science politique) que parce qu’un misérable volant de 12 heures en Seconde et 8 heures dans le cycle Terminal est censé financer tout à la fois : les options, l’aide personnalisée, l’aide à l’orientation et les dédoublements ! La fin des dédoublements est ainsi mécaniquement annoncée, ce qui nuira évidemment aux élèves les plus fragiles. Tout cela défait le tissu éducatif. Ce n’est pas la paix que porte cette réforme du lycée.

Une spécialisation accrue des élèves (deux spécialités en Terminale au lieu de trois dans les séries actuelles), à rebours des exigences du marché du travail dont les transformations demanderont au contraire une grande capacité d’adaptation fondée sur une large culture générale. Des choix décisifs seront à faire dès la Seconde en fonction des « attendus » des formations supérieures, ce qui est fort précoce : les élèves n’auront plus droit à l’erreur, ni même simplement celui de changer d’avis. Qui parmi nous savait avec certitude, à 15 ou 16 ans, ce qu’il allait “faire plus tard ?”

Que dire aussi de cette flexibilité des élèves qui devront choisir entre aller suivre une spécialité dans un autre établissement que celui de rattachement si celle-ci n’existe pas sur place, ou renoncer à leurs envies ?

Paternalisme et autoritarisme guident cette réforme. Les consultations des enseignants qui viennent de s’achever ne sont que de pure forme, sur une réforme du lycée et du Bac largement rejetée par le Conseil Supérieur de l’Éducation comme par les organisations syndicales. Sa mise en œuvre à la hâte est prévue en Seconde et Première dès la rentrée prochaine, alors que les enseignants sont à peine tenus au courant des nouveaux programmes (!) En revanche, nous savons que les éditeurs de manuels ont été informés du contenu des nouveaux programmes dès la fin de l’été… preuve que le ministère fait grand cas des résultats de la consultation.

Voilà donc une réforme au flou bien peu artistique : le contenu des épreuves n’est pas défini. Nous sommes dans le brouillard total pour former nos élèves actuels de Seconde, puisqu’il est impossible de savoir quels exercices leurs seront soumis pour les nombreuses épreuves de bac qui les attendent pourtant dès l’an prochain. Le ministère feint-il de penser qu’un trimestre de première suffit à maîtriser tous les attendus méthodologiques d’épreuves de bac ?

Élitisme : un des autres mots clefs de cette réforme tant les programmes annoncés sont notablement plus lourds, pour des horaires disciplinaires réduits (de 4,5h en L/ES aujourd’hui à 3h pour tous en histoire-géographie, par exemple). Ce n’est pas un hasard, la visée élitiste de ces programmes est clairement assumée, ils sont – de l’aveu même d’un membre sortant du CSP ayant participé aux travaux d’élaboration jusqu’en octobre dernier – taillés pour les 15% à 20% d’élèves les plus « performants »… les mêmes à qui ParcourSup est destiné. Moins que jamais, le lycée ne visera à faire réussir tous les élèves, d’où qu’ils viennent.

Le caractère insidieux, masqué de cette réforme (très longtemps nous n’avons rien su de ce qui nous concernait) et la précipitation, l’improvisation affolée qui président à l’élaboration et l’application des programmes, faits à la va-vite et mis en place tout aussi hâtivement, à marche forcée. Les élèves de Seconde, premier niveau à être concerné par cette réforme, ne travaillent pas cette année sur le contenu de ces nouveaux programmes… puisque leurs enseignants ne les ont pas encore et devront eux-mêmes les travailler avant que de les appliquer. La spécialité « numériques, sciences informatiques » n’a pas d’enseignant formé à l’heure actuelle pour être proposée décemment aux élèves et le ministère en est à imaginer une formation des enseignants volontaires… l’année même de la mise en œuvre de cette spécialité. Ceci signale que nous sommes face à une réforme de démolition d’un passé jugé coûteux plutôt que face à une réforme de refondation de quelque chose d’ambitieux. L’ambition ne s’accommode pas de tant de précipitation et d’approximation.

Au lycée général, escamoter une belle partie des horaires de SVT ou de philosophie, mettre en péril les enseignements artistiques, réduire l’histoire-géographie à un étroit roman national positiviste d’un autre âge, épistémologiquement inepte, c’est littéralement menacer la vie et la pensée au cœur de l’école, et le potentiel émancipateur de nos disciplines. L’évolution des programmes de SES est symptomatique de l’idéologie qui sous-tend la réforme : la mise en exclusivité de l’analyse de la micro économie, séparée des sciences politiques et sociales, est un désastre du même ordre.

 

Le renforcement du contrôle continu et de l’autonomie des établissements signifient que l’on s’éloigne du cadre national garantissant la valeur du diplôme du Baccalauréat. Derrière le vocabulaire trompeur de « l’innovation », « la refondation » et « l’adaptation aux besoins et souhaits des élèves », c’est une dérégulation complète du système éducatif qui se profile, malmenant l’enseignement public au profit de l’enseignement privé.

Alors, pour ne pas sombrer dans un grand moment de cette mélancolie qui fit écrire à Rimbaud que « la vraie vie est absente », martelons que le bien commun est inaliénable ! L’organisation de l’école se pense, s’invente, selon des principes justes et émancipateurs. Elle ne se gère pas.

L’énergie des gilets jaunes a redonné du courage et fait exister la possibilité de la résistance aux multiples attaques de l’idéologie libérale : nous demandons la suppression pure et simple des réformes des lycées général et professionnel

Tribune signée par les enseignants du lycée Honoré de Balzac de Paris en lutte pour une école pensée.