« Spirou ou l’espoir » : un Spirou politique

Emile Bravo, Spirou, L'Espoir malgré tout © Dupuis

Son Journal d’un ingénu avait fait sensation en 2008 lors de sa sortie, parce qu’il mettait en scène un Spirou enfin temporel, témoin de la marche inexorable du monde vers le second conflit mondial. Avec Spirou ou l’espoir (dont le premier tome Un mauvais départ paraît le 5 octobre prochain), Emile Bravo revient sur les premières heures de l’invasion de la Belgique par l’armée allemande et sa perception d’un héros de bande dessinée qui ne peut pas vivre en marge de son temps et hors de la réalité.

Sorte de préquelle où l’on apprenait pourquoi l’écureuil Spip est doué de conscience et comment le jeune et intrépide Spirou a rencontré le fantasque Fantasio, Le Journal d’un ingénu s’achevait sur des notes tristes, la disparition de la jeune amie juive de Spirou, Kassandra Stahl, l’imminence de la guerre et bien des heures sombres à venir. Retour à Bruxelles, en janvier 1940, Spirou est toujours groom au Moustic Hôtel et Fantasio, sous les drapeaux, savoure sa permission prêt à tout pour retrouver son poste de reporter. Avec des débuts qui rappellent les tribulations de Quick et Flupke dans les rues de la ville, Un mauvais départ est empreint d’une tristesse sourde qui tranche avec les aventures ordinaires de l’emblème de la maison Dupuis depuis 1938. Le ton est grave autant que la situation est incertaine dans la capitale de la Belgique encore neutre.

Emile Bravo, Spirou, L’Espoir malgré tout © Dupuis

Pour autant, les choses changent, le monde a déjà changé d’ailleurs, les réfugiés allemands, juifs, se font plus nombreux chaque jour, et le mois de mai arrivant, la Belgique est envahie. Spirou et Fantasio (désormais déserteur) décident de fuir l’invasion nazie. Las, la France ferme ses frontières (tout en se faisant conquérir), la guerre éclair a tôt fait de ramener les deux compères à leur point de départ. S’ensuit alors une drôle de période pour les deux amis.

Emile Bravo, Spirou, L’Espoir malgré tout © Dupuis

Emile Bravo semble s’être mis en tête de questionner l’âme humaine autant que celle de ses personnages. Qu’il s’agisse des deux protagonistes (Spirou demeure ce gamin trop candide et Fantasio cet ahuri opportuniste jusqu’à la bêtise) ou des personnages secondaires qui compose une galerie hétéroclite de veules, de courageux, de fatalistes… ou de belles personnes douées de bon sens. Tout en s’offrant une charge contre une certaine politique éditoriale, et en creux contre les dessinateurs collaborationnistes.

Emile Bravo, Spirou, L’Espoir malgré tout © Dupuis

L’humour n’est évidemment pas absent de cet Espoir, avec des situations cocasses, des références aux publications de la bande dessinée d’alors mais avec un sous-texte très critique envers celles-ci : comment ne pas voir derrière les patrouilles scouts et l’accoutrement que Spirou doit se résoudre à porter (et qui le rend plus Tintinesque que l’original) une dénonciation de la passivité des auteurs et dessinateurs sous occupation allemande. Et la comparaison ne s’arrête pas là. La presse aux ordres, les institutions mises au pas et la jeunesse qui cherche des repères dans un monde déviant vers le racisme le plus brutal. Comment survivre ? Comment garder son innocence ? Emile Bravo et son Spirou posent un regard désabusé (presque désespéré) sur le monde dans cet album qui se termine sur un quai de gare et une décision pour le moins étonnante de la part de Fantasio.

Emile Bravo, Spirou, L’Espoir malgré tout © Dupuis

Avec ce premier épisode, Emile Bravo aborde nombre de questions éthiques et philosophiques. Qu’en est-il du choix et du libre-arbitre dans un contexte totalitaire ? A quelles sirènes et à quelle facilité doit-on céder au risque de se perdre ? L’histoire ne nous apprend-elle rien ? Que faire ? Résister ? Collaborer ? Garder espoir ?

Emile Bravo, Spirou ou l’espoir, partie 1 : Un mauvais départ, 88 p. couleur, Dupuis, pctobre 2018, 16 € 50.