L’Alpha et l’Oméga du roman d’espionnage et de l’art du roman : tel serait peut-être l’ultime sens à donner à cette énigmatique lettre Sigma, titre du troisième et remarquable livre de Julia Deck qui paraît en cette rentrée et dont il constitue l’un des points d’incandescence.
Après Viviane Élisabeth Fauville et Le Triangle d’hiver, Julia Deck dévoile ici l’histoire aussi échevelée que rigoureuse, aussi ironique que sérieuse, aussi puissante que neuve d’Alexis Zante, banquier suisse et collectionneur d’art qui se voit (sans le voir) pris au cœur d’une affaire d’espionnage, pisté par une galerie impressionnante d’espions travaillant pour une mystérieuse Organisation répondant à un nom qui n’est qu’une lettre : Sigma.
Entre Genève, Berne et Zurich, mais parfois aussi Rio et New York, au cœur d’une Suisse qui, pour une fois, n’a plus de frontière, espions, actrice, galeristes, assistants et universitaires se croisent et se prennent tous en filature pour mettre la main sur un chef d’œuvre inconnu : l’ultime toile du non moins énigmatique peintre suisse (mais plutôt allemand), Konrad Kessler. D’échanges de rapports d’enquêtes en répétitions de spectacles ou en scènes de séduction et autres cocktails, Julia Deck dévoile avec force un roman maximaliste où le divertissement le plus affirmé ne cesse de s’allier à une réflexion politique sur l’art et notamment sur la blanchotisation de l’artiste : Blanchot a fini tellement par disparaître qu’il est devenu peintre en Suisse.
Au cœur de ce roman choral où chaque agent se rêve soliste, devient de moins en moins agent mais de plus en plus romancier, dans cette Suisse qui n’a plus rien de neutre, Julia Deck invente un nouvel alphabet du roman qui, s’il sait rendre hommage aussi bien à Echenoz, Gailly qu’au cinéma des frères Coen, dessine les lettrines d’un art romanesque qu’elle renouvelle avec joie et qui sait se saisir du monde tel qu’il vient.
De quoi ainsi la lettre Sigma est-elle le nom ? Assurément, de l’un des romans les plus accomplis de l’année, sur lequel Diacritik reviendra longuement dès sa parution.
Julia Deck, Sigma, éditions de Minuit, 240 p., 17 € 50 – en librairie le 7 septembre 2017 — Lire un extrait