Le jeune duo qui constitue le groupe Colorado est, de manière évidente, doué. Mais pas seulement. Si le groupe marie de manière originale le sens de la composition et un goût pour l’expérimentation, il se singularise aussi par l’écriture de morceaux qui synthétisent différents styles musicaux incluant des éléments très dansants, des rythmes venus du Krautrock, de la pop synthétique des années 80 et 90, ou encore de la techno, avec une attention particulière portée aux sons, aux sonorités et aux ambiances produites. L’ensemble crée un résultat qui se démarque, une pop hybride, entrainante, volontiers rêveuse et en même temps complexe. Rencontre et entretien avec Martin et Charles, les deux têtes créatrices de Colorado.
Comment avez-vous rencontré la musique et comment vous est venue l’envie d’en faire ? Lorsque vous étiez plus jeunes, vous viviez dans un environnement où la musique était présente ?
Charles : Nos parents respectifs, à Martin et à moi, nous faisaient écouter de la musique et on a tous les deux commencé la pratique d’instruments au collège. J’ai commencé par suivre des cours de batterie et Martin des cours de guitare. Très vite, dès la 5e, on a fondé un groupe de rock.
Martin : Au collège, j’écoutais du rock, mais quand j’étais petit j’écoutais beaucoup de musique classique. Mon grand-père est chef d’orchestre et il me faisait écouter de la musique classique. Sinon j’écoutais les tubes qui passaient dans les années 2000…
Charles : Au lycée, ce que l’on écoutait a évolué davantage vers la musique électronique et on a un peu délaissé le rock. C’est à ce moment que l’on a voulu créer Colorado.
Au collège, qu’est-ce qui vous intéressait dans le fait de jouer dans un groupe de rock ? Il s’agissait d’un passe-temps, ou bien vous aviez déjà l’idée, même vague, de continuer de manière professionnelle ?
Charles : C’était une passion. Ce qui nous plaisait, c’était de faire de la musique, sans arrière-pensée. On faisait des reprises, et le simple fait de jouer nous plaisait beaucoup. C’était nouveau pour nous et on découvrait le fait de jouer ensemble, en groupe, et de devoir se perfectionner.
Pourquoi avoir abandonné ce premier groupe et avoir fondé Colorado ?
Martin : A une certaine époque, on s’est mis à écouter de plus en plus de musique électronique. Après le rock, on découvrait la techno, la house et nos intérêts ont changé en fonction de ce que l’on découvrait.
Lorsque vous avez créé Colorado, il s’agissait toujours de faire de la musique uniquement par plaisir ou le but était aussi professionnel ?
Charles : Au départ, c’était pour le plaisir, et ça l’est toujours, évidemment. Lorsque l’on a créé Colorado, on était encore au lycée. C’était sans doute difficile de se dire que l’on pouvait en faire quelque chose de professionnel, une sorte de métier. C’est par la suite qu’on a commencé à penser à quelque chose de plus professionnel.
Comment s’est fait ce passage du groupe amateur, qui joue pour le simple plaisir, à une perspective professionnelle ?
Charles : Il y a eu plusieurs événements, mais principalement la rencontre avec celui qui est maintenant notre producteur. Au départ, on voulait améliorer la qualité de nos morceaux. On a cherché quelqu’un qui pourrait nous aider et pour cela on a pensé à aller voir un producteur. C’est à partir de là qu’on est entrés dans un processus davantage professionnel.
Martin : Nous sommes allés voir ce producteur aussi parce qu’il travaillait avec des groupes qui nous intéressaient, comme Manceau ou O Safari. Nous sommes allés le voir avec nos morceaux et nous nous sommes mis à les retravailler ensemble. Dans son studio, il y a plein de synthés analogiques des années 80, tout un matériel qu’évidemment nous n’avions pas à notre disposition puisqu’on n’a pas d’argent. On a passé tous nos accords dans ces synthés et les morceaux ont pris une autre tournure. La texture et le son de ces synthés ont transformé de manière importante tout le matériel que l’on avait apporté. A la base, nous sommes allés le voir pour ça, c’est ensuite que l’on a décidé de vraiment collaborer ensemble.
Charles : De cette collaboration est né le pemier EP, Wind and Movement, et un tourneur a proposé de nous signer sans nous avoir vus jouer en live. Le projet de départ est ainsi devenu un projet professionnel. Et comme faire de la musique est ce qui nous motive d’abord, on a voulu faire les choses au mieux pour en faire dans ce nouveau cadre qui se présentait à nous.

Quels groupes vous ont donné envie de faire la musique que vous faites aujourd’hui ?
Martin : On écoute beaucoup de groupes de notre région, de Rennes, comme par exemple Juveniles. On écoute aussi beaucoup de synthpop ou New Order, M83. De la musique des années 80 avec des sonorités particulières, des synthétiseurs qui ont un son particulier.
Charles : Avec Colorado, on voulait découvrir et réaliser de la musique assistée par ordinateur. La manière de composer, de jouer est très différente de ce que l’on peut faire avec des guitares dans un groupe rock.
Martin : En même temps, la façon dont on compose est proche de ce que pourrait faire une formation de rock. Charles est à la batterie, moi je suis aux synthés, avec un micro, et on compose de cette façon, en live, en cherchant, en tâtonnant, en improvisant. On ne travaille pas uniquement avec l’ordinateur mais de manière encore proche du rock.
Vous composez les morceaux ensemble ?
Charles : La base, la plupart du temps, est composée ensemble. Souvent, par la suite, Martin enrichit ce premier jet en trouvant une mélodie ou en introduisant du synthé, etc. Mais le point de départ est une dynamique d’improvisation, live : on choisit une phrase musicale, un rythme de batterie et on se lance.
Comment s’arrête un morceau ? Qu’est-ce qui fait qu’à un certain moment vous vous dites que le morceau est composé, suffisant tel qu’il est ?
Charles : C’est difficile de répondre à ta question. C’est très subjectif. Tout ça s’appuie beaucoup sur du ressenti : on sent quand un passage fonctionne, quand un groove nous plait. Je suppose que cela est aussi connecté à nos références et à nos goûts en matière de musique… Ce serait peut-être comme un peintre qui sait quand son tableau est réussi, quand il peut s’arrêter.
Souvent, quand on pense à de la musique synthétique, créée en partie avec l’appui d’ordinateurs, on a la représentation de quelque chose d’un peu abstrait, d’une démarche plutôt cérébrale. J’imagine, mais je me trompe certainement, que Brian Eno compose de manière assez cérébrale. Dans votre cas, ce serait presque l’inverse : utiliser des instruments et des moyens électroniques tout en donnant une place centrale à la spontanéité.
Martin : Oui, c’est ça. C’est ce qui nous rattache au rock. La puissance du son nous importe aussi, comme dans le rock.
Charles : En composant, on est un peu comme une formation rock. On ne travaille pas devant l’écran d’un ordinateur. Lorsque l’on compose, je suis derrière ma batterie, assis à la batterie. C’est une batterie électronique que j’utilise comme une batterie traditionnelle.

En écoutant vos deux EP, Wind and Movement et Mindset, plusieurs choses m’ont retenu au sujet de la structure de vos morceaux. Martin parlait tout à l’heure de synthpop et je trouve que votre musique tend à dépasser ce cadre. C’est aussi pour ça qu’il me semble que ce que vous faites est au-dessus de pas mal de choses que l’on entend. Si on prend le dernier morceau de Depeche Mode, « Where’s the Revolution », je le trouve quand même un peu fainéant… Dans votre cas, on voit bien comment la base de votre création est une synthèse de différents courants que vous assimilez parfaitement – ce qui est d’ailleurs impressionnant de la part de gens si jeunes – et à partir desquels vous produisez quelque chose d’original. Il me semble que vous faites se rencontrer des choses qui vont, par exemple, de Giorgio Moroder à Kraftwerk en passant par plusieurs courants de la pop des années 80 et 90. Quand je dis ça, je ne parle pas d’influences ou d’imitation mais bien d’une synthèse créatrice, originale et réussie…
Martin : Pour nous, c’est la base de tout, la synthèse dont tu parles. On voulait mêler plusieurs mouvances. On voulait mêler l’old school et des choses plus modernes, le vintage et le moderne. Par exemple, on avait envie d’utiliser des sons des années 80 – et sur nos synthés il n’y a que des sons vintage – en les associant à des rythmes de batterie plus électroniques ou technos, ou à des voix plus actuelles. On essaie de créer des liens entre tout ça.
Quels sont les artistes qui vous intéresseraient, qui iraient dans le même sens que vous, en travaillant d’une façon similaire ?
Martin : Par exemple The Shoes. Ils font ça à leur façon, en réutilisant beaucoup de styles musicaux. Dans leur dernier album, Chemicals, ils reprennent un style drum and bass des années 90 et 2000 qu’ils associent avec des choses venues du hip hop et du rock.
Charles : C’est un peu comme dans la mode. On se sert de choses du passé que l’on va associer à d’autres choses pour créer du nouveau.

En plus de ce processus d’hybridation, ce qui me frappe aussi dans la structure de vos morceaux, c’est qu’ils associent souvent une structure dansante, et même très dansante, et une dimension plus expérimentale, un goût pour le son électronique, le pur effet électronique. Ceci est évident dans le titre « Undisclosed », que l’on trouve dans le premier EP, ou dans « La vague » avec, si je puis dire, la plage finale constituée uniquement de sons et d’effets électroniques. Et on retrouve ça aussi, mais différemment, dans le second EP. Certains morceaux de ces deux EP seraient des tubes, comme on dit, s’ils avaient été composés par des groupes plus connus. Mais il me semble que vous cassez justement la logique du tube « dansant », en introduisant des ruptures et des formes d’expérimentation sonores, ce qui rend vos titres plus complexes et intéressants.
Charles : Oui, c’est tout à fait ça. Ce serait facile de faire des morceaux uniquement « dance »…
Martin : Ce n’est pas ce qui nous intéresse. C’est pas très compliqué de construire un morceau avec un couplet, un refrain, un couplet, un refrain, etc. On suit ce type de code, mais pas à cent pour cent, on le déforme pour aller ailleurs.
Charles : Les morceaux que l’on compose sont souvent constitués de deux parties et on aime qu’à la fin, dans la seconde partie, le morceau parte justement ailleurs…
Martin : Et c’est vrai, comme tu le disais, que l’on aime expérimenter les sons avec les machines, pour le seul plaisir de l’expérimentation, de travailler les sons pour eux-mêmes. Parmi les groupes actuels, il y en a un certain nombre qui font des recherches assez complexes au niveau des harmoniques et des sons, comme par exemple Parcels…
Charles : On écoute aussi du rap – enfin, c’est surtout moi qui écoute du rap. On essaie de faire entrer tout ça dans ce que l’on fait et de l’utiliser à notre façon.
Tout à l’heure tu parlais de musique classique. Vous en écoutez encore pour composer ?
Charles : Oui, bien sûr. J’adore Debussy et Chopin, le piano en général…
Si certains morceaux sont instrumentaux, d’autres incluent du chant. Qui écrit les paroles ?
Martin : Nous n’écrivons pas nous-mêmes les paroles. Ce qu’on fait, on veut que cela soit bien fait, travailler dans ce que l’on pense être capables de faire. On n’écrit pas les paroles nous-mêmes car on n’a pas envie de le faire mais mal, en écrivant des choses qui n’auraient pas de sens. C’est un ami à nous, Vincent Roux, qui écrit les textes.
Charles : On n’a jamais voulu délivrer de messages. On n’a jamais pensé s’exprimer de cette façon par les mots. Au début, le groupe était exclusivement instrumental. On a voulu ajouter de la voix par la suite, mais avec les mots, on n’est pas très forts, en tout cas dans le cadre musical. On préfère faire passer des émotions avec la musique et que l’auditeur construise son propre texte, ses propres images.
Les textes tournent autour de sentiments, d’émotions : l’amour, la rupture, etc. Il y a aussi des textes plus allusifs, dont le sens est plus hermétique, constitués d’images, comme dans le second EP, « Last train » ou « Cellphone ». Pourquoi, comme tu le disais, préférer ne pas intégrer des textes avec des thèmes sociaux ou politiques ? Puisque, Charles, tu parlais du rap tout à l’heure, voilà un style musical qui inclut des thématiques sociales et politiques…
Charles : On ne se sent pas légitimes pour le faire…
Martin : On est davantage focalisés sur les émotions que la musique produit, sur la composition. C’est d’abord ça que l’on veut transmettre et susciter : des émotions…
Charles : Même si, évidemment, on a des idées sur l’actualité, on en pense quelque chose, ce n’est pas une réalité qui ne nous intéresse pas. Notre approche de la musique est différente. On travaille davantage, comme le disait Martin, au niveau des émotions, du ressenti que peuvent provoquer certains accords, certains rythmes.
Est-ce que d’autres arts vous attirent et, d’une façon ou d’une autre, vous servent pour votre travail de musiciens ?
Martin : Je suis très fan de cinéma, j’aime aussi la photographie, les images en général.
Tu pratiques la photographie ?
Martin : Non. Peut-être un jour…
Charles : La photographie, un peu comme la musique, produit une ambiance. Ce serait ça qui m’intéresserait aussi dans la photo.
Martin : Quand on compose on branche la télé, on regarde une chaîne qui diffuse des images de peintures, des tableaux de la Renaissance, des choses très diverses. Ce sont des diaporamas, avec des zooms sur des détails, des plans larges ou serrés sur les œuvres. La chaîne s’appelle Icono.
Charles : Il n’y a pas de son sur cette chaîne. On branche ça pendant qu’on compose. On voit d’abord des parties, des détails, et uniquement à la fin on voit le tableau dans son entier sans que l’on ait pu anticiper celui-ci. On regarde ça et parfois ça nous inspire pour la musique, ou en tout cas ça crée une ambiance dans laquelle on compose.
En même temps que vous travailliez à vos deux EP, vous avez commencé à faire des concerts. Qu’ont apporté de nouveau les concerts par rapport aux morceaux tels qu’ils se présentaient déjà sur les disques ?
Charles : On adore les concerts, la scène, c’est ce qu’on préfère faire. Pour la scène, très souvent, on réarrange la structure des morceaux, on allonge certaines parties, etc. On joue aussi des morceaux pensés uniquement pour la scène. Faire quelque chose sur scène est différent de l’approche que l’on peut avoir en studio.
Et le studio, justement, lorsque vous avez commencé à enregistrer, est-ce que cela a apporté quelque chose de nouveau ? Est-ce que le studio est un moyen de création réel ou simplement un lieu d’enregistrement ?
Martin : On n’a pas enregistré dans un gros studio. On est plus dans l’idée du home-studio, comme faisait Daft Punk. Tu es chez toi, tu composes chez toi… Le studio de notre producteur est aussi dans son appartement.
Le producteur, c’est Timsters, qui chante également sur votre morceau « Lies ». Il a d’ailleurs une très belle voix.
Charles : Oui, il chante très très bien. On réarrange tout avec lui. Il est très présent dans ce que l’on fait et important pour nous.
On parlait de photos et d’images. Vous avez fait jusqu’à présent trois vidéos clips que je trouve bien réussis. Ce sont des vidéos dont l’esthétique est simple, dans le sens où il n’y a pas cinquante images par seconde, avec un scénario à la con, comme c’est le cas pour la plupart des vidéos clips. Ce sont des vidéos énigmatiques, à l’esthétique claire et soignée, allusive. Est-ce que vous travaillez vous-mêmes sur ces clips, et de manière générale est-ce que vous vous intéressez à votre image en tant que groupe ?
Charles : L’image aujourd’hui est très importante…
Martin : L’image doit accompagner notre musique, lui être liée. On ne peut pas, aujourd’hui, sortir de la musique comme ça, sans images. Et il faut que les deux aient bien sûr un rapport, sinon ça n’aurait pas de sens.
Charles : Faire un clip, c’est un moyen de diffuser la musique, faire en sorte qu’elle soit diffusée et écoutée. C’est donc capital pour que la musique existe en dehors du seul disque. Le problème est que pour certains groupes l’image est plus importante que la musique, voire est plus intéressante que leur musique. On travaille sur les clips tous ensemble : nous, le producteur, et le réalisateur qui est Marc Mifune.
Et qui est pas mal doué lui aussi. Il a fait les trois clips ?
Charles : Oui. Le premier clip que nous avons fait avec lui était en fait le deuxième de sa carrière. Lui aussi fait de la musique. Comme il n’était pas satisfait par les clips que l’on réalisait pour lui, il acheté son propre matériel et a commencé à faire des vidéos lui-même. Et on voit qu’au fil des clips il devient meilleur.
Vous avez fait deux EP, relativement différents l’un de l’autre, le premier étant plus expérimental, ou en tout cas la dimension expérimentale y étant plus évidente…
Charles : On nous dit souvent qu’il est plus cinématographique, qu’il laisse davantage place à l’image, à l’imaginaire. Dans les deux EP on avait envie d’expérimenter des choses différentes…
Un disque est prévu, un album, non ?
Charles : On y travaille depuis janvier. Toutes les compositions seront originales, sans reprise de ce qui était déjà sur les EP. On a envie de créer et c’est ce qu’on fait.
Vous le faites avec la même équipe ?
Charles : Oui, on continue à travailler ensemble. Notre producteur est aussi jeune, il a commencé à produire depuis peu. Comme le réalisateur des clips. On aime travailler ensemble, nous améliorer ensemble et voir ce que l’on peut créer ensemble. Le producteur avec lequel on travaille, c’est pas un prestataire, il fait partie intégrante de notre projet.

Avec quels autres producteurs aimeriez-vous travailler ? On ne sait jamais, si Brian Eno lit Diacritik…
Martin : Il y en a, mais on n’a pas la prétention de les contacter… Par exemple, ce serait bien de faire quelque chose avec The Shoes, avec les gens de M83 ou, tant qu’on y est, avec Damon Albarn…
L’album sortira quand ?
Charles : Fin 2017. Entre temps on pourra venir nous voir en concert.
Actuellement en tournée, Colorado sera en concert à Paris le 17 mars, au Point Ephémère. Les autres dates : 23/3, Atypik Festival, Avignon ; 14/4, La Citrouille, Saint-Brieuc ; 27/4, UBU, Rennes ; 29/4, Novomax, Quimper ; 4/5, La Soufflerie, Rezé ; 5/5, Echonova, Vannes ; 20/5, Pas de quartier, Roubaix ; 15/7, Les Vieilles Charrues, Carhaix.
La page Facebook de Colorado
Les deux EP, Wind and Movement et Mindset, en écoute sur Deezer
La page Facebook de la maison de production Elephant et Castle