December 6, 2014 (Fifty-Three Days, journaux américains, 49)

© Franck Gérard. Avec le soutien de l'Institut Français et de la ville de Nantes

LOS ANGELES /Twenty-third day

Je me réveille au son d’un coq ; celui que j’entends tous les matins. J’aime ce que les sens ont laissé en moi ; le souvenir de certaines odeurs, de certains sons. J’avais l’impression d’être chez mes grands-parents, il y a longtemps de cela. Mais je n’ai malheureusement plus l’âge d’avoir des grands-parents…

J’improvise encore. Je descends à Chinatown, que je n’ai pas vraiment exploré. Le Chinatown historique car les communautés bougent et s’agrandissent. Quelques images montent vers moi ; c’est un endroit très vivant. Des mômes qui se photographient avec lesquels je sympathise l’espace d’un instant, surtout William, à qui je promets d’envoyer l’image. Une grand-mère qui étend son linge. Trois marins qui traversent la route. Quelques paysages américains ; c’est toujours beau la route, les fils, les poteaux ; surtout qu’enfin j’y arrive sans voiture, entre deux « salves ». La statue de Bruce Lee, en plein exercice, entourée par des barrières ; peut-être pour éviter qu’il nous casse la figure…

Je me balade aussi dans un des nombreux centres commerciaux à étages du coin. Je regarde une casquette ; une femme âgée viens vers moi : « Two dollars, three caps for five ! ». Je lui dis que la mienne est en coton et celles-ci en polyester. Elle n’en a pas en coton, par hasard ? « No ». Et je lui demande comment le prix peut-être aussi bas par rapport aux casquettes officielles qui sont elles aussi fabriquées en Chine car ce sont bien des copies ! La réponse est éloquente : « Don’t understand, don’t understand ! ». L’architecture chinoise est bien sûr omniprésente (même la station-service du coin arbore les célèbres toits chinois), mais cet endroit me semble beaucoup moins superficiel et touristique que le Chinatown de San Francisco. Je retourne sur Alvarado Street où j’avais repéré une jeune fille qui vendait des petits objets fabriqués par ses soins, je pense, en perle. Mais elle a disparu des étalages de rue. Je fais un tour, observe mais impossible de prendre des images ; je me sens comme « surveillé » vu qu’encore une fois je passe pour l’original du coin, à la limite WASP ; Sauf, que quelquefois on me parle en espagnol et je réponds de même… Avant de rentrer dans le métro, je me laisse aller à une petite discussion facile avec une des employées de Jésus du quartier. Elle me dit : «Don’t go to hell, Jesus loves you » et je réponds : « I’m already in hell, I’m in L.A. », sur le ton de l’humour. Impossible de mener une conversation plus longue. Elle coupe court…

Je sors au terminus de la « red line » à North Hollywood. J’adore ce moment où tu sors du métro et que tu aperçois un paysage nouveau ! Mais c’est là que cela devient intéressant ! Je suis tout de suite troublé ; je connais cet endroit ! Une vague de bien-être m’envahit : c’est le premier endroit où j’ai dormi à Los Angeles, dans un hôtel. Là où j’ai fait mes premières images, où j’ai commencé à sillonner les rues de cette ville arachnéenne. Je sais doublement où je suis : je reconnais tout mais je me situe par rapport à la géographie de toute la cité. J’ai tissé les liens géographiques. Je me sens bien. Je prends Lankershim Blvd. Je mange dans un resto asiatique ; je ressors en toussant pendant une heure, j’ai du mal à respirer ; c’est la deuxième fois que cela m’arrive. Ce doit être cette saloperie de glutamate. En plus, depuis mon hamburger géant, j’ai un immense spot entre le nez et l’œil gauche. Il va falloir que je me mette à un régime plus saint.

Bref, j’enquille les boulevards, les rues : Vanowen St, Tujunga Ave, Vineland Ave (où je longe le Bob Hope Airport), Cahuenga Blvd, W Empire Av, W Victory Blvd, Burbank, Magnolia ; je tourne à droite, à gauche, fais parfois demi-tour, espérant qu’il se passe quelque chose. Je ne croise presque personne. Je m’épuise jusqu’à ce que la nuit tombe. A un moment, une femme me sourit dans la rue ; c’est trop beau pour être vrai alors je vais la voir pour la remercier et lui dire que c’est la première fois que j’ai un sourire « gratuit » dans la rue ; mais c’est une vendeuse de maisons, qui a l’habitude de sourire pour vendre ; je devine à son visage, sans aller plus loin, sans oser lui demander, qu’elle a cette beauté qu’ont les femmes méditerranéennes… La nuit tombe ; j’ai fait quelques images, tout de même. Surtout d’architectures. J’aime énormément cette échoppe en plein air où l’on entrepose des centaines de faux rochers, sans doute issus d’anciens tournages. J’ai vu pas mal de « Studios » ; je ne sais pas ce qu’on y tourne mais je l’imagine, vu que je suis à proximité de la « San Fernando Valley »… Je finis par cette image floue, cette « femme-fantôme » qui regarde son téléphone sur N San Fernando Blvd. Elle fait une crise de parano alors je vais la voir ; elle trouve l’image très belle et comprends. Heureusement que son mec, sans doute joueur de Football américain, n’est pas dans le coin… L’image est floue, prise au 1/6ème en 2.8 mais j’aime aussi les images floues. Je marche encore dans la rue ; prends le bus jusqu’à Downtown ; reprends le métro que j’attends une plombe car il y a des travaux de maintenance sur la ligne. J’arrive à 22H30 environ. Épuisé, je n’écris pas ce soir. J’écris ce matin mais c’est toujours le même jour pour vous, de toute manière.

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