LOS ANGELES /Twenty-second day
Une légère brise souffle ; cela fait bouger les lampes au-dessus de ma tête. Plus de pluie depuis deux jours ; les choses sont revenues à la normale à Los Angeles. Enfin, les sons qui me portent chaque soir sont de retour ; c’est surtout celui des planches de skate que j’apprécie. Lorsque je descends Marie Avenue, il est déjà un peu tard ; 11h00.
J’avais oublié de recharger les batteries de l’appareil photo. J’aperçois un graffiti fait dans la terre, négligemment grattée, sous l’ombre des bougainvilliers : « USA ». Sur N Figueroa Street, une femme qui sort d’un supermarché porte nonchalamment son sac de courses sur la tête. A un arrêt de bus, un homme se tord le cou pour lire les magazines publicitaires jonchés sur le sol ; il a l’air de sacrément s’ennuyer. J’ai déjà mal aux jambes ; il faut dire que cela fait trois semaines que je crapahute ! J’aime beaucoup ce mot qui correspond bien à la situation ; marcher sur le bitume est ardu, parfois. Pour continuer sur ce terrain, lorsque je vais prendre le train, je vois ce panneau avant de traverser la voie « Look both ways ».
C’est un peu trop prosaïque, à mon goût. J’aime tellement la poésie du « train qui peut en cacher un autre ». Je suis en mode improvisation totale. Je traîne encore une fois à Union Station. Impossible de se lasser de cette gare. Là, par contre, ils ont tout compris, contrairement à la SNCF qui fait tout son possible pour que ce soit le plus désagréable possible. Des fauteuils immenses en cuir et en bois, pour attendre le train, à moins de préférer aller dans les patios au milieu des jardins. Le tournage est encore là. Un panneau indique que si l’on traverse la gare à partir de cette limite, on prend le risque d’être filmé ; de facto, on accepte de donner son image… Je passe et prends quelques images. Un « security man » me dit que je n’ai pas le droit de faire des images. Je lui dis que si je donne la mienne, je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas le droit d’en voler quelques-unes au passage. Un débat s’ensuit avec un responsable du tournage et, bien évidemment, ils laissent tomber. Je n’avais pas remarqué la borne, en bois, « Informations ». Je la prends avec son informateur. Il me voit ; pas de problème pour l’image mais il me dit qu’il ne sera pas responsable de la destruction de mon appareil, sur le ton de l’humour, en me montrant du regard les nombreux agents de sécurité qui sillonnent l’espace alentour.
Je reprends le métro, la « Blood line » cette fois-ci. Une femme insulte de toutes ses forces un personnage imaginaire. Manque de chance, elle monte dans le même wagon que moi. Deux arrêts plus tard, un type, cheveux longs et lunettes noire monte parmi d’autres personnes. Je ne sais pas pourquoi ; peut-être que l’on peut parler d’intuition ou d’autre chose mais son « aura » me dérange. Il sort de son sac un miroir rond, une pince à épiler et s’épile les sourcils, comme ça, l’air de rien. Je shoote, en mode furtif ; il vaut mieux. Il descend à l’arrêt suivant et continue sur un banc. Je descends sur Wilshire ; là où j’avais interrompu ma marche, l’autre jour.
Cet endroit est si beau ; beaucoup d’immeubles sur le boulevard et aux alentours rappellent l’architecture de New-York. Mais c’est encore mieux car c’est à Los Angeles ; de mon point de vue. C’est beau les racines de ces arbres que je ne connais pas. J’erre. J’ai faim. Très faim. Je mange. C’est après que cela devient encore plus difficile : un hamburger avec deux steaks, un œuf, du fromage fondu, du bacon, etc. Un truc d’au moins 15 cm de haut avec des dizaines de frites. Et en plus, je mange tout, jusqu’à la dernière miette ; c’est excellent ; un peu moins lorsque je recommence à marcher avec cette impression d’être tout gonflé. Je remarque un vendeur à la sauvette qui vend d’étranges choses. Un homme en achète un. Je lui demande ce que c’est. Non, pas ce qu’il a à la main ; la chose qu’il a glissée dans sa poche. « Ah ! Ça ! ». Il m’explique que cela vient des « Natives » enfin des « Indians » même si je comprends tout de suite. C’est un bouquet de plante ; sans doute de la sauge ; délicatement enveloppé dans des fils de laine. On doit brûler cela chez soi pour que les mauvais esprits partent. De toute manière, il en a plein chez lui, me dit-il, et il me tend le bouquet. Un beau présent !
Je zone. Je me décale du « Wilshire ». C’est toujours beau ces paysages de rue. Tu penses à Ed Rusha, « of course ! ». La sieste me manque. Le hamburger ne cesse de me hanter, physiquement parlant ! Je reprends « Wilshire ». Une église. Je rentre, des gens prient, j’enlève ma casquette, baisse la tête, comme eux, sauf que je m’endors. Je ne sais pas combien de temps je dors mais je rêve encore que je suis un loup ; courant dans le désert. Je fais demi-tour. Tombe encore sur un tournage. Je prends une image, rapidement. Un caméraman me voit faire ; nous parlons des images. Pour lui, c’est un tournage chiant ; une série télé. Je lui parle du tournage à Union Station. Il me parle à son tour d’un tournage dans une gare sur lequel il filmait, dans la gare de Chicago. Et surtout de cette scène, la « scène de l’escalier », dont je me souviens très bien. Il a lui-même oublié le titre du film, vu qu’il en fait beaucoup, et que c’était il y a longtemps. Je luis dis que c’est dans « The Untouchables » de Brian de Palma. On parle du cinéma et de la vie. Je prends congé, discrètement. Je vais prendre à nouveau le métro au croisement de « Wilshire » et « Alvarado boulevard ». J’étais passé là sous la pluie sans personne. Là, c’est la folie ! Des centaines de vendeurs à la sauvette. Tu trouves tout ce que tu veux ; de la nourriture aux bijoux, à tout ce qui est électronique ou bibelot ; la liste est trop longue. Il y a même celui qui « vend » Jésus au carrefour ; avec sa croix et son mégaphone. Le métro, station « Wilshire/MacArthur Park ». La femme et son bouquet de fleurs. La boucle est bouclée car je revois celui qui s’épilait ce matin prendre le métro exactement en même temps que moi ; sauf que lui, il franchit les barrières sans payer en s’énervant, parlant tout seul. Je commence à parler à nouveau espagnol. Je commence à reconnaître des personnes que j’ai déjà croisées. Pas eux. La vie est belle et étrange à la fois !