Un ouvrage récent, Éléments de Banalyse, permet de découvrir ce mouvement des années 80 du siècle dernier. Banalyse is Banalyse : la Banalyse « est avant tout un acte, le Congrès ordinaire de banalyse. Il se tient tous les ans dans une petite gare du centre de la France, appelée Les Fades, un endroit où il n’y a strictement rien à faire, où il n’y a aucune distraction, et où le risque de l’ennui est particulièrement important. » Ce Congrès n’a pas d’objet, « il consiste uniquement à être là, à perdre son temps à attendre les trains. La banalyse se définit par rapport à cet acte. »
Banalyste : « est banalyste quiconque, ayant eu vent du Congrès des Fades, a été fortement tenté de s’y rendre. »
Invitations aux Congrès Ordinaires :
♦ 1er Congrès (1982) : « Les participants sont conviés, non sans le risque de l’ennui, à contempler le spectacle étrange de la platitude. »
♦ IIIe Congrès (1984) : « Le site de Fades ne présente qu’un intérêt touristique médiocre, les distractions y sont nulles, la vacuité culturelle totale et la gastronomie sommaire; les ressources de l’esprit y sont donc pleinement exploitables. »
♦ IVe Congrès (1985) : « Le principe du quatrième Congrès est fort simple. Il s’agit de rejoindre, par voie ferroviaire, la gare de Fades où il se déroule et de ne rien faire, sinon constater son absence de contenu en attendant les trains. C’EST TOUT. Seul, reste pour nous, l’acte apparemment inconsistant de cette attente sur les quais de la gare de Fades, dont nous ne parvenons toujours pas à mesurer l’exacte importance. »
♦ Ve Congrès (1986) : « Nous sommes heureux de vous compter au nombre des personnalités invitées à participer à ce Ve Congrès. Nous espérons que la problématique ouverte par la perspective d’un tel passage à l’acte fera écho à votre sensibilité et que nous aurons le plaisir de vous accueillir sur les quais de la Halte de Fades. Mais nous vous prions aussi de croire que nous sommes d’avance convaincus par les excellentes raisons qui vous conduiraient à ne pas dépenser votre temps de façon inutile. »
♦ IXe Congrès (1990) : « Nous ne savons toujours pas quel est le sens de cette histoire. »
(Total des invités: 1034)
Neuf Congrès Ordinaires, de 1982 à 1990, le troisième week-end de juin :
♦ Fréquentation : Aux deux premiers Congrès, aucun invité ne s’est déplacé. Les organisateurs, Pierre Bazantay et Yves Hélias, seront les seuls présents. Puis les congressistes seront au nombre de 7, 12, 37, 60, 35, 34, 31.
♦ Programme : attendre les six trains quotidiens, susceptibles de laisser des participants ; salutations des trains ; allocutions diverses, banquets, toasts mais « qu’on se rassure. L’objet de ce toast, de par son caractère autarcique, ne célèbre que lui-même : il est tout à la fois travail, perte et récupération dans l’ivresse symbolique » ; traversée du viaduc des Fades (le plus haut d’Europe), incursions sous le viaduc, sur et dans le tablier ; jets de pierres du haut du viaduc si le temps le permet ; écrasement de pièces de monnaie posées sur les rails par la Micheline (« La banalyse bat sa propre monnaie et elle le fait par la matrice de l’objet même qui signe le Congrès, c’est-à-dire: l’autorail ») ; traversée à pied du tunnel de Toureix situé dans le prolongement du viaduc (le site expérimental du Toureix est le premier centre mondial de tunnellologie) et « la traversée du tunnel est une dure école d’humilité pour tous ceux qu’intimiderait encore un éventuel sens caché de la banalyse »…
♦ Question essentielle : « Qu’est-ce que je suis venu foutre ici? ». Aucune réponse.

Quelques autres (in)activités :
♦ Entretiens de La Loupe (chef-lieu de canton d’Eure-et-Loir, habitants : les Loupéens). L’objet de ces entretiens est simplement d’entretenir la Banalyse — « le fantasme de La Loupe n’est pas voué à un grand avenir ». Rapport (1986) : « Les quatrièmes Entretiens de La Loupe se sont tenus le samedi 13 décembre de 12h33 à 16h28 et c’est à peu près tout ce qu’il y a à en dire ».
Repas à l’hôtel de France. Menu officiel, jambon, nouilles, fruits et vin rouge, «Cuvée du patron, réserve dite « limitée », concept de limitation dont ils ont saisi et éprouvé la dimension qualitative ».
♦ Rendez-vous de Branik (Prague) : « Cette manifestation consiste à rejoindre par tramway, une fois par an, le terminus des lignes 3, 17 et 21, pour neuf minutes d’attente, de 18h37 à 18h46. Les applaudissements de l’assemblée concluent cette expérience sommaire. »
(En dehors de la République socialiste tchécoslovaque, il y eut extension du domaine banalytique de la non-lutte en Belgique, aux Açores, au Québec…).
♦ Rencontres Éphémères de Sainte-Honorine-des-Pertes (Calvados)
Exploration de la plage, prélèvement de divers objets s’y trouvant, état descriptif de chaque pièce dressé sur une étiquette, dépôt sur un présentoir :
« Premier Musée éphémère de Banalyse, constitué, inauguré, ouvert au public et fermé le Dimanche 12 Octobre 1986 entre 11h45 et 12h15 ».
Lors du discours d’inauguration est « donné citation d’un bref extrait de Bouvard et Pécuchet où les héros, s’exerçant eux-mêmes à la paléontologie sur cette même plage de Sainte-Honorine, s’entendent rappeler par l’administration du domaine maritime que rien ne saurait être fait dans les limites du génie ».
♦ Les Salutations d’Usages — Rencontres ponctuelles de 666 secondes effectuées au lieu-dit d’Eure-et-Loir « Les Usages ».
Discours officiel de 111 secondes ; pendant les 444 secondes suivantes: café, calvados, servis en plein champ sur une table de camping, contemplation silencieuse de la nudité du paysage beauceron ; second discours officiel durant 111 secondes.
« Les Salutations d’Usages sont la gestion soucieuse du protocole des Usages, ni plus, ni moins. La banalyse atteint aux Usages à sa plus transparente expression : elle n’est rien d’autre que cette transparence. »
Le Xe Congrès extraordinaire (1991) :
Ultime étape de la décennie banalytique ouverte en 1982. (42 participants).
L’invitation au IXe Congrès Ordinaire l’avait pointé, guettaient « le lyrisme du banal », « l’ennui fin -de-siècle », une « métaphysique portative et ferroviaire », voire « la plaisanterie de bon ton ». Il était temps de s’effacer.
La banalyse n’avait-elle donc pas connu « la dégradation inhérente au spectaculaire et fait ainsi l’épreuve de sa propre banalité » ?
Denis Seel
(titulaire de l’invitation N° 0218 au Congrès Ordinaire de Banalyse)
Éléments de Banalyse, édition de documents conçue et établie par Marie-Liesse Clavreul et Thierry Kerserho. Avec une préface de Pierre Bazantay et Yves Hélias, Éditions Le jeu de la règle, 2015, 608 p., 38 €