Le pitch de The Catch, actuellement diffusé sur Canal+, est à ce jour l’idée la plus rentable de la décennie : sous couvert d’inventer une histoire originale, la série reprend en tous points les ingrédients d’une recette qui a fait ses preuves dans une déclinaison d’une gémellité à faire pâlir les frères Bogdanov (avant leurs opérations de chirurgie esthétique).
« Alice Vaughan est une détective privée victime de fraude par son fiancé, Benjamin Jones. Entre deux enquêtes, elle est déterminée à le trouver avant qu’il ne ruine sa carrière »… Voilà pour la proposition : une nouvelle série policière américaine avec ce qu’il faut de suspense, de romance et de technologie, mais aussi et surtout un produit bien formaté, fruit de la propension des scénaristes, à user et abuser de la touche Ctrl+C de leur traitement de texte préféré.

Alice Vaughan, jouée par Mireille Enos (excellente Sarah Linden de The Killing), n’a donc plus qu’une idée en tête : retrouver l’escroc qui lui a promis mariage, joies, félicité et vacances dorées sous une lune forcément de miel. La poursuite (« catch » en VO sous-titrée, comme c’est pratique) peut donc commencer. Le bourreau du cœur et du portefeuille de la belle est quant à lui campé par le ténébreux Peter Krause que les sérivores connaissent pour avoir interprété Nate Fisher, aîné de la fratrie funèbre de Six Feet Under. Autour des deux personnages principaux gravitent une galerie disparate de protagonistes plus stéréotypés les uns que les autres : une associée au grand cœur, deux complices retors qui partagent un secret vite divulgué, un agent d’Interpol incorruptible, des spécialistes ès un peu tout… Le tout dans un décor ensoleillé et glamour fait de buildings rutilants et de voitures de sport non moins étincelantes qui n’a rien à envier aux plus belles pages du catalogue d’une revue d’immobilier d’entreprise qui aurait fusionné avec L’Auto Journal.
The Catch, dont le sujet est « une femme de caractère à la confiance abusée par un séducteur » avait tout pour séduire les fans de séries d’arnaque. On a même déjà connu sujet moins engageant et la promesse de ne pas regarder une énième resucée d’une série policière standardisée était plutôt intéressante. D’autant que toutes les séries made in Shondaland ont la particularité de faire des femmes des héroïnes hors du commun dans un monde qui sent majoritairement la testostérone. Là où le bât blesse c’est que l’on regretterait presque que Shonda Rhimes n’ait pas choisi de réaliser Les Experts Charleville-Mézières en déclinant ouvertement la franchise née à Las Vegas plutôt que de s’ingénier à singer ce qu’elle a déjà fait par ailleurs. Car de la séquence pré-générique tournée au moyen d’une caméra stroboscopique avec force arrêts sur images jusqu’aux inter-séquences (filmées en mode mal de mer hors d’âge, procédé que l’on croyait ne pas revoir depuis l’arrêt de NYPD Blue), tout dans The Catch respire le déjà-vu. La photographie tire du côté des Experts Miami, avec de longs plans en contreplongée pour magnifier la hauteur vertigineuse des gratte-ciels locaux, les analepses et les prolepses explicatives renvoient dès le début à la fin (sic) de Usual Suspects et la morgue séductrice de Peter Krause tient difficilement la comparaison avec l’autodérision de George Clooney dans Ocean’s 11 et le charme so british du gang de Hustle (Les Arnaqueurs VIP).

Dans la fiction télévisée, les séries qui pêchent par invention (au sens de proposer quelque chose de nouveau, de développer des idées originales et intéressantes) se heurtent souvent aux portes mal fermées du réalisme, faisant dire d’elles qu’elles sont « trop ceci » ou « pas assez cela ». Mais elles peuvent aussi butter sur l’écueil du mensonge par omission et Shonda Rhimes, malgré son statut de nouvelle prêtresse du TV show, n’a pas eu le bon goût de ne dire qu’elle avait réécrit ce qu’elle avait déjà couché sur papier et pellicule dans Scandal. En visionnant The Catch, on est même en droit de se demander si, forte du succès de Grey’s Anatomy et de sa dérivée (déjà) Private Practice, la productrice n’aurait pas de fait inventé un nouveau concept. On connaissait déjà les « prequel » et autres « sequel », The Catch innove et développe le principe de la série « telle quelle ».
The Catch se révèle en tous points être un clone de Scandal (le couple Mireille Enos-Peter Krause remplaçant celui formé par Kerry Washington et Tony Goldwyn, les deux jouant au même « fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis »…). La réalisation soi disant nerveuse et catchy (accrocheuse, NDT) ne fait que reprendre les gimmicks de son aînée et l’intrigue alambiquée − mélange d’histoire d’amour contrariée pour lecteurs de Nous Deux et d’enquêtes dans les hautes sphères de la « bonne » société américaine à la sauce Harlequin − renvoie invariablement à Scandal, des prémices scénaristiques jusqu’aux traits de caractères des personnages.

En conclusion (et comme on dit dans les critiques qui tentent de sauver du naufrage ce qui est intrinsèquement submersible), « malgré une belle photographie et une interprétation de qualité », si l’on devait sur-titrer la nouvelle création de Shonda Rhimes en une phrase (tout en assumant le jeu de mot et la référence cinématographique improbable), The Catch : « watch me if you can ».
The Catch, tous les jeudis sur Canal Plus (N° 5 & 6 le 16 juin), 13 épisodes. Avec Mireille Enos, Peter Krause, Sonya Walger… Créée par Jennifer Schuur. Produit par Shonda Rhimes.