Je ne prends pas l’avion si souvent. Et quand je dois, par peur de rater l’enregistrement de mon unique bagage vaguement poussiéreux, et d’errer par suite hagard en ressassant la notion de non-lieu de Marc Augé, si éculée que je m’en veux justement d’y penser encore, je me « présente » toujours très en avance. 6 heures à peu près. 7 si j’ai une correspondance parce qu’il faut bien vérifier les étiquettes avec mon adresse dessus.
Mais personne ne semble prêter attention à mon scrupule, pas même la préposée qui ne me trouve pas sur la liste des passagers, vu que mon avion à moi n’est même pas encore sur le tarmac, et que si ça se trouve son futur pilote n’a peut-être pas encore, à l’heure qu’il est (h-5), son diplôme.
Mon jet-lag à moi, il commence dès le hall de l’aéroport, en fait ; faudrait que je décale ma montre au moment où je commence à enfoncer, à coups de pieds, ma trousse de toilette dans ma valise déjà bondée. Parce que la trousse de toilette on la met toujours en dernier.
H-4 : s’ouvre alors à moi le monde merveilleux du Duty Free. Comme une Fan Zone pour stressés de la carlingue. Charlie dans sa chocolaterie ne fait pas mieux, c’est sûr, que ces barres Toblerone aux dimensions insoupçonnées et ces paquets de M&M’s pour ogres apatrides.
Une histoire de transit, je me suis fait expliquer. Comme si dans cet espace neutre, les friandises avaient le droit d’outrepasser toutes les normes imposées par les instances de contrôle du cholestérol, de la glycémie et de la bienséance alimentaire. Charles de Gaulle vit chez Hansel et Gretel, et on ne m’avait rien dit. Et puis les souvenirs en forme de mythologies barthésiennes : des chocolats fins, dans des boîtes en forme de carrousel, de jolies danseuses de french cancan peinturlurées tout plein dessus. En rouge et noir, j’affiche mon cœur : le chic français, entre Chat et Moulin.
Il n’y a pas à chercher plus loin la source d’inspiration de la cérémonie d’ouverture de cet Euro 2016. Je peux l’avouer, j’étais un plan B : comme Jean-Paul Goude était pris par ses vacances perpétuelles à L.A., dans sa piscine à rayures mi-JP Gautier mi-Buren, c’est moi que les instances de l’UEFA sont venues chercher, il y a déjà de cela dix mois. C’est directement avec mon idole, Michel Platini, que j’avais alors négocié un contrat, qui ma foi, à ma grande surprise…
Bref : recyclant à bon compte les costumes de la fête de fin d’année de mes filles à l’école primaire Marcel Pagnol de juin dernier – merveilleux crêpons et tulles ajustés par un collectif de mamans dévouées, toujours les mêmes d’ailleurs puisque pour le loto elles emballent aussi les lots –, je crois être parvenu à signifier quelque chose comme une identité culturelle forte de notre pays, à l’intention de nos concurrents directs au concours annuels de l’Eurovision.
Car il ne faut pas le cacher : gagner l’Euro 2016, ce n’est pas renouer avec le carré magique de 1984 (Genghini, Tigana, Giresse, Platini), ni sentir le souffle de la génération championne du monde en 98 puis d’Europe en 2000, dont sont issus ces consultants TV aussi chauves désormais que surpayés, mais bien, une fois pour toutes, laver l’affront répété de l’Eurovision, qui pour d’obscures raisons, se refuse à notre répertoire national et aux trilles désespérés de nos meilleurs interprètes.
Mais comme l’ont si bien perçu les commentateurs du direct, la France, c’est aussi la modernité. Hé hé les rayures dans le french cancan c’était déjà pour suggérer l’habile transition… Et c’est bien pour cela que j’ai imposé, oui imposé, David Guetta émergeant du carrousel, avec ses platines rutilantes et sa tête à la Christophe Dugarry peroxydé période Girondins de Bordeaux. Le mix idéal.
Les américains ont Rihanna pour leur SuperBowl, il nous fallait notre casque d’or. Oui, car le jeu de scène de David était proprement millimétré, comme un vieux corner à la rémoise : les doigts immobiles sur la console, de toute façon débranchée (on n’allait pas courir le risque de la panne en direct, l’an dernier à la fête de l’école la machine à hot-dogs s’était coincée et les parents avaient pas mal protesté et plein de paquets sous vide de saucisses plastifiées m’étaient restées sur les bras j’en fais encore à l’apéro aujourd’hui coupées en petites bûches rigolotes pour écouler le stock) pour faire genre DJ qui peut sauver votre vie cette nuit encore. Et puis le casque : un coup je le mets, mais que d’une oreille, pour entendre la clameur du stade en symbiose avec mes hymnes au bonheur, un coup je le pose, pour vérifier que mes doigts n’ont définitivement pas bougé un seul bouton sur la console. Un truc du Club Med, et qui marche encore super.
Bon après il y a eu le match : stress et Payet, m’a-t-on dit.