« 21cm » : 40 minutes de plaisir

Le comité de visionnage de Diacritik a regardé 21cm, la nouvelle émission littéraire de Canal Plus dont la première a eu lieu hier soir à 22h50. Verdict façon jury d’épreuve de patinage artistique, avec ses notes techniques (on plaisante) et la subjectivité assumée d’enfin voir une nouvelle émission consacrée aux livres à la télévision. Fût-elle sur une chaîne cryptée.

Montage nerveux, réalisation clipée, conducteur soigné, 21cm met le paquet d’entrée avec une séquence pré-générique d’anthologie tout en second degré et en allusions fines en forme de passation de pouvoir(s) avec un Frédéric Beigbeder au meilleur de sa forme, armé de son ruban de couturière, donnant son titre à l’émission en mesurant son exemplaire de Franny and Zooey de Salinger.

Comme annoncé à grands renforts de teasers promotionnels et d’invitations multiples sur les plateaux des émissions de la chaîne (du Tube à La Nouvelle Édition en passant par Salut Les Terriens), 21cm sera donc une émission décalée (enfin !) entièrement consacrée au livre, à la lecture, aux écrivains, bref, en un mot comme en trois, un show littéraire pop et rock taillé sur mesure pour son présentateur Augustin Trapenard. Le buzz bien orchestré autour du second degré du titre comme l’annonce d’une émission « chic » pouvaient faire craindre le pire. Ce sera le meilleur.

À des kilomètres des émissions compassées (mais néanmoins nécessaires) trop statiques qui assoient les auteurs dans des fauteuils mous pour subir le feu roulant de questions écrites sur des fiches bristol, 21cm pourrait se voir comme un croisement du Divan de Marc-Olivier Fogiel (pour le portrait imagé de l’invité.e. et les deux Chesterfield du salon d’Augustin Trapenard — mais notre diacritique Tara Lennart en a un aussi), de L’Émission d’Antoine (battle de livres oblige) et de Conversations secrètes de Michel Denisot (pour la ballade dans Paris), mais l’émission, très séquencée, sait rester originale et singulière. Et l’on retrouve (enfin encore !) la pertinence et la sensibilité d’Augustin Trapenard, celle dont il fait preuve dans Boomerang sur Inter (du lundi au vendredi, à 9 h 10), totalement masquée dans Le Grand Journal où le livre est réduit à un pitch de 2 minutes (ce qui suppose un certain art du résumé accrocheur mais laisse les vrais amateurs sur leur faim).

Pour paraphraser la pastille promotionnelle de Marc Derian dans Le Grand Journal, justement : 21cm, « c’est super bien ! ». Le principe est simple : l’émission est centrée sur un ou une invité(e) mais la littérature est évoquée, plus largement, à travers de courtes séquences qui servent de virgules et rythment le long entretien : les conseils de lecture d’invités, en 15 secondes chrono (gros challenge pour Doc Gyneco, mais il y a aussi Joann Sfar, Alain Manoukian, Akhenaton ou Marc Lavoine) ou la battle — en short, lycra et même tenue de sumo, 3 rounds pour 3 catégories, boxe, lutte et sumo — avec Antoine de Caunes (parmi les livres évoqués dans cette première émission, la fabuleuse Colère noire de Ta-Nehisi Coates). Notons, et c’est important, que les traducteurs de littérature étrangère sont systématiquement nommés, et plutôt deux fois qu’une (Thomas Chaumont pour Colère Noire et Nicolas Richard pour M Train), ce qui rompt une fois encore, pour le meilleur, avec des habitudes françaises trop installées (et regrettables).

Augustin Trapenard et Patti Smith au cimetière du Montparnasse
Augustin Trapenard et Patti Smith au cimetière du Montparnasse

L’émission joue la carte de l’humour et du tendre avec pour cette première une interview intimiste en trois parties (intérieur / extérieur jour, intérieur nuit) de Patti Smith. L’artiste se dévoile (un peu), se révèle attachante, passionnée et partage son goût pour les livres tandis que tournent en fond Because the night ou People have the power. Mais Augustin Trapenard n’en oublie pour autant pas son sujet : parler (et faire parler) des livres, ce qu’il réussit à faire sans nous perdre en route. Le spectateur est invité à (re)découvrir un livre (M Train) et son auteur, en plusieurs parties : ici Augustin Trapenard se rend au cimetière du Montparnasse avec Patti Smith, un lieu auquel invite M Train justement, avec pauses devant les tombes de Sartre et Beauvoir, Baudelaire ou Susan Sontag. Et, entre quelques confidences, ils prennent quelques polaroids, comme dans le livre toujours.

Puis Patti est reçue chez Augustin Trapenard, elle rencontre Jean-François dit Jeff, le chien d’Augustin — qui adore les pâtisseries marocaines a priori servies pour l’invitée, qui, elle, les goûte surmontée d’un peu de crème de marron, son 4147vl1GarL._SX195_péché mignon.

Elle parcourt et commente les rayonnages de la bibliothèque d’Augustin, embrasse quelques livres (dont un gros volume Albert Camus), et repart avec un exemplaire du Funambule de Jean Genet, l’un de ses auteurs de prédilection, auquel elle consacre des pages magnifiques dans M Train d’ailleurs et dont elle commente, ici, l’art des dernières phrases, celles du Funambule comme celles du Journal du voleur (« je me propose d’y rapporter, décrire, commenter, ces fêtes d’un bagne intime que je découvre en moi après la traversée de cette contrée de moi que j’ai nommée Espagne« ).

Jean Genet, excipit du Funambule
La conversation tourne autour de la musique, de la littérature, de l’icône Patti (un mot qu’elle refuse), de la politique — avec une pastille sidérante de justesse et d’ironie sur un Donald Trump en héros littéraire du XIXe siècle, tout droit échappé de romans de Dickens. Cette séquence signe l’ambition de l’émission : une érudition divertissante, une pertinence ironique, un regard actuel sur la manière dont la littérature interroge le monde et la met en perspective. Bel hommage à ce qu’elle est, un défi au temps.

L’écueil de l’auteur en promotion qui déroule un discours appris est largement évité — pour ne pas dire inexistant —, et 21cm se révèle être une jolie parenthèse télévisuelle qui met le livre avec un grand L au centre de l’attention. Ce qui est le but annoncé. Et devient trop rare à la télévision française de nos jours. On conclura comme Patti Smith dans la dédicace de son livre, en toute fin de ce 21 cm (que l’on aimerait même un peu plus long…), avec un M comme merci. Vivement la suite.

21 cm, Canal +, en replay. Et prochainement en vost sur Dailymotion.