Né en 1946, Lucky Luke fête cette année 70 ans de chevauchées, de poursuites, de captures des Dalton, Billy The Kid et autres Phil Defer et de départs dans le soleil couchant au son d’« I’m a poor lonesome cowboy ». La reprise-hommage signée Mathieu Bonhomme (qui avait déjà sillonné le Far West dans Texas Cowboys…) a paru le 1er avril dernier, avec un titre ô combien référentiel : L’homme qui tua Lucky Luke. Un one-shot (sans jeu de mot) à ne manquer sous aucun prétexte.
Avec un dessin semi-réaliste loin de la rondeur morrissienne, le Lucky Luke 2016 est moderne et d’emblée surprenant avec la mort annoncée du héros pourtant réputé tirant plus vite que son ombre. Si le titre évoque L’Homme qui tua Liberty Valance et le cadrage de la couverture renvoie à Phil Defer (huitième album de la série paru en 1956), la promesse d’une belle et sombre réappropriation du personnage créé par Morris et Goscinny est tenue. Et bien loin de tuer Lucky Luke (et le mythe), Mathieu Bonhomme célèbre son héros d’emprunt en l’immergeant dans un Ouest crépusculaire et humide, à la tonalité assurément plus proche d’Impitoyable que de Silverado.

Les détracteurs chroniques des reprises ont nourri quelques craintes largement injustifiées face à cette aventure en marge de la série officielle – dont le prochain opus (avec Achdé au dessin et Jul au scénario) paraîtra en novembre prochain. L’homme qui tua Lucky Luke ne peut être réduit à une variation sur le thème du héros qui ne mourrait jamais. Plus encore, l’ironie et le sous-texte instillés par un Mathieu Bonhomme très inspiré permettent de savourer l’adaptation en additionnant plusieurs niveaux de lectures.
Unlucky, Luke ?

Non seulement L’homme qui tua Lucky Luke a toutes les qualités d’un excellent western (avec un héros en butte à un potentat local et à l’injustice qui règne en maître) mais de plus, l’aventure son personnage principal tout en se moquant de son évolution passée. Imaginez : le Lucky Luke de Mathieu Bonhomme n’a pas arrêté de fumer (ce qu’a fait son «ancêtre» en 1983) et au contraire, tel un accro à la clope qui ne supporte pas la vapoteuse, le cow-boy cherche désespérément un débit de tabac ouvert… Et le clin d’œil initial, de running gag, se transforme en élément narratif d’importance, raison de la colère croissante du héros.

Graphisme soigné, ambiance ténébreuse, scénario sombre et humour désabusé, références cinématographiques assumées et renvois à la légende, tout concourt à faire de L’homme qui tua Lucky Luke un classique. Avec des ajouts subtils (le poncho eastwoodien et l’apparition d’un Doc Wednesday en ami sacrificiel), le retour de personnages déjà rencontrés dans des aventures passées (Laura Legs dans La corde du pendu), le récit de Mathieu Bonhomme est une formidable réécriture du personnage emblématique et intemporel, une véritable extension du domaine de Lucky Luke.
Mathieu Bonhomme, L’Homme qui tua Lucky Luke, 64 p. couleur, Lucky Comics, 14 € 99 — Les 10 première planches sont à lire ici