Les Coulisses de la rédaction (10) et l’ABCDaire de Christine Marcandier

Saint Valery © Christine Marcandier

« Les Coulisses de la rédaction » changent de formule pour quelques semaines, le temps de vous présenter, un peu plus en détail les membres de Diacritik, via abécédaires, auto-interviews, notices pré-nécrologiques et/ou portraits chinois, voire fiches de sites de rencontre que nos diacritiques vous livreront dimanche après dimanche.

Cette semaine Diacritik a transporté la rédaction et les dialecteurs à Coney Island, en photos et en textes, avec un petit tour par Los Angeles en bande dessinée. Jean-Philippe a lancé une nouvelle rubrique, l’abécédaire d’écrivains, inaugurée avec brio par Liliane Giraudon ;
Yorick et Olivier Steiner ont tenu leur journal dans le journal ;
On a parlé cuisine (avec la Mafia), beaucoup de cinéma (les frères Larrieu, Spielberg, Nanni Moretti), de la vie sexuelle des super-héros, de Bohème, de bande-dessinée japonaise, de jeu vidéo, on est resté couché, on est parti à Maubeuge et au Monte-en-l’air, on a croisé le Général Instin et une multiple galerie simple.
Laure Limongi nous a offert son cœur furieux et sa raison d’acier, Frank Smith un Écrire pour, BHL une fable, Christophe Honoré une interview ouverte et Nicolas Tellop a fait son entrée dans la Newsroom, en fanfare, en croisant BD et peinture.

Pour clore cette semaine folle, le premier portrait d’un diacritique, une, de fait, Christine Marcandier en quelques lettres et beaucoup de livres :

Robert McLiam Wilson © Christine Marcandier
© Christine Marcandier

A
comme Livres
Et comme celui qui pourrait donner le la, note absolue, Eureka Street. De ces textes qui vous apprennent à respirer, que vous n’avez de cesse de lire, relire, faire découvrir. C’est sans doute le livre que j’ai le plus offert, celui que je conseille quand on me demande « je lis quoi ? », celui dont on sait que transmettre son titre est une confidence et un don. Eureka Street, c’est l’évidence faite roman. Je l’ai en vo, en grand format, en poche.
Et puis cet incipit, dément « All stories are love stories« . Ce qu’est ce roman pour moi, une histoire d’amour. Ouvrant à une sorte d’herbier mental :
« Toutes les histoires sont des histoires d’amour », donc. « Les histoires sont toujours obliques, tu comprends », Geneviève Brisac, Les Filles sont au café ; « Cela n’a vraiment rien d’une histoire d’amour », Cloé Korman, Les Hommes couleur ; « Un livre est une collaboration entre celui ou celle qui lit et ce qui est lu et, dans le meilleur des cas, cette rencontre est une histoire d’amour comme une autre », Siri Hustvedt, Un été sans les hommes ; « Et leur histoire ressemblait à un roman », Tanguy  Viel, La Disparition de Jim Sullivan ; « Il n’y a plus d’histoires d’amour », Julia Kristeva, Les Samouraïs.

B et la plus belle chanson du monde, si sublimement mise en récit par Lars von Trier dans Breaking the waves, par ailleurs : Life on mars (mais j’aimerais Bowie s’il chantait l’annuaire).

C comme Copernic et deux citation : « Celui qui ne perçoit pas la rotation de la Terre n’a jamais été embrassé comme il faut » (Mistinguett) & « Gloire à Galilée qu’on torture pendant que Copernic » (Pierre Desproges, évidemment).

et C comme Patrice Chéreau, ses films, ses mises en scène, sa Reine Margot, l’intimité, la perte, la violence. Et son Napoléon fantôme. Il (me) manque.

D, lettre privée, aimée. cf. C comme Desproges

G comme Hervé Guibert, et le souvenir d’un été, 2011. Magie absolue de l’Elbe. L’arrivée sur Portoferraio. La montagne quasi tout de suite et ces vues absolument sidérantes, partout la mer et les sommets. Les yeux se perdent, divaguent, on est absorbé par le paysage. Et une idée fixe : Guibert, voir le lieu où il repose. À peine descendus du ferry, direction Rio Nell’Elba, route en lacet, étroite et vertigineuse, regard en plongée vers la mer.

Elbe © Christine Marcandier
Elbe © Christine Marcandier
Elbe © Christine Marcandier
Elbe © Christine Marcandier
Elbe © Christine Marcandier
Elbe © Christine Marcandier
Elbe © Christine Marcandier
Elbe © Christine Marcandier

Et le cimetière, si beau, les chats partout, sa tombe introuvable. On tente de chercher des renseignements sur l’IPhone, vague filet de réseau, Internet d’une lenteur sans nom. On abandonne. Depuis j’ai trouvé, mais on avait quitté l’île.  À l’hôtel désespoir de rater le Fou de Vincent, l’intrépide. On repart. Direction l’eremo di Santa Caterina d’Alessandria où Guibert passait des semaines retiré du monde. De nouveau la route en lacet. Puis un chemin de terre, à pied. Et l’ermitage. Fermé.

Elbe © Christine Marcandier
Elbe © Christine Marcandier

Derrière les hauts murs de pierre qui ferment le jardin, des cris d’enfants qui jouent. Dom appelle, on lui répond en allemand. Un homme vient ouvrir, charmant. Apprenant que nous cherchons si Guibert vivait là, il nous ouvre le jardin, nous accompagne, nous montre la pierre, trace de l’écrivain dans les lieux.

Elbe © Christine Marcandier
Elbe © Christine Marcandier
Elbe © Christine Marcandier
Elbe © Christine Marcandier

Puis il nous ouvre le bureau où Guibert écrivait. On ne prend évidemment aucune photo. On repart bouleversés. Par la gentillesse de ce couple, la magie du lieu cet instant hors du temps. Restent les images de La Pudeur ou l’impudeur, ce film si dur si vrai dans lequel ce lieu est un moment suspendu et plein et les photos de Guibert, les mots du journal, de ses livres.

K comme Kafka, maître, inspiration, respiration. Kafka pour lequel j’ai appris l’allemand, suis un jour devenue bilingue, ai fait des études d’allemand avant de les abandonner (ou qu’elles me quittent).

L comme David Lodge, pour Un tout petit monde et les travaux de Persse McGarrigle qui portent sur l’influence de la poésie de T.S. Eliot sur l’œuvre de Shakespeare et nous mènent tout droit au Plagiat par anticipation de Pierre Bayard, chez Minuit. Pour sa peinture du monde universitaire qui me semblait si drôle quand j’ai lu le roman, alors étudiante, et qui me semble si réaliste aujourd’hui, passée de l’autre côté du bureau.

N, lettre privée, aimée et N comme New York, l’autre lieu qui agit comme un aimant.

P comme piles qui disent quelques-une de mes monomanies

© Christine Marcandier
© Christine Marcandier

ou P comme shrink… Un psy rencontre un nouveau patient, lui demande de s’installer confortablement et lui dit :
– Alors ? Quel est votre problème ? Racontez-moi depuis le début.
– Et bien… Au début,j’ai créé le ciel et la terre…

Z comme le Zut qui conclut le Bardadrac de Gérard Genette, « ce pourrait être mon dernier mot ».