On se réjouit de voir Christine Angot couronnée par ce prix Décembre (ex-Novembre) qui lui va comme un gant. Prix un peu en retrait, prix loin des flonflons ordinaires de la petite cuisine littéraire, prix que lui ont attribué Adler, Bergé, Savigneau et autres Sollers. Prix avec une touche de mélancolie hivernale et une consonance festive.
Un amour impossible (Flammarion), qui lui vaut cette distinction, est un roman de belle facture et d’intense émotion : dans la production d’Angot (une vingtaine de titres), il boucle une boucle dans ce qui fut au long des années un récit de vie et une histoire douloureuse d’inceste commis par un père plus qu’abusif. Au fil des ans, il y eut ainsi le temps de la déclaration (L’Inceste), puis le temps de la définition ou encore de la description (Une semaine de vacances), enfin le temps de l’explication (Un amour impossible). Le troisième volume se résorbe largement dans une enquête sur le personnage de la mère, une mère que le lecteur découvre, une mère qui n’a pas su voir ce qui arrivait à sa fille devenue adolescente, une mère qui subissait sa triple condition de femme pauvre, abandonnée et juive. De là, une période d’incompréhension mutuelle et de long désamour entre fille et mère. Et tout cela pris dans une forme d’écriture qui n’appartient qu’à Angot avec prise sur la parlure la plus quotidienne.
Or, temps de l’explication, Un amour impossible est aussi temps d’une dénonciation toute sociale, où le roman dans ses vingt dernières pages prend superbement de la hauteur et va loin dans une rage juste et maîtrisée. Après l’enquête serrée sur celle qui fut prise en étau entre ex-mari et fille adolescente, vient l’heure de l’ultime colère au long d’une conversation réconciliatrice entre deux femmes enfin réunies. Cela donne une quinzaine de superbes pages en fin de volume qui ont quasiment valeur de manifeste. S’y dénonce violemment la logique du dominant, qui fut celle du père comme elle est celle de tant d’autres. Et la fille de faire la leçon à une mère qui a si peu compris le mécanisme essentiel : « Pour humilier quelqu’un, le mieux est de lui faire honte, tu le sais. Et qu’est-ce qui pouvait te rendre plus honteuse que ça, que de devenir, en plus de tout le reste, alors même que tu pensais être sortie du tunnel, la mère d’une fille à qui son père a fait ça ? » (p. 203) Ou bien encore à propos de ce père qui eut de sa maîtresse une enfant sans qu’il en tire aucune conséquence et change quoi que ce soit à son confort bourgeois : « C’est pas une histoire privée ça tu comprends. C’est pas un arrangement personnel, c’est un arrangement social auquel tout le monde participe, y compris toi » (p. 205).
Mais certains ne supportent pas que l’on touche à l’ordre des choses, y compris chez les critiques littéraires. Ainsi, à l’occasion du prix attribué cette semaine, Pierre Maury dans Le Soir de Bruxelles revient au roman et fait ce qu’il faut pour gâcher la fête. Mais il ne s’en prend ni au récit ni à l’envolée finale du roman. Son attaque toute oblique porte sur le style d’Angot en vrai coup bas. Et de citer un passage de grande platitude emprunté au roman sans tenir compte de ce qu’il s’agit d’un fragment de dialogue où toute la bassesse arrogante du père s’étale et entraîne mère et fille. Oui, Pierre Maury, les dialogues servent régulièrement aux romanciers pour dire la platitude ou la bêtise de leurs personnages. Mais vous faites comme si vous l’ignoriez et vous annoncez à la une de votre journal que le prix Décembre a couronné un roman de la banalité. Voilà qui ne fera pas plaisir aux détenteurs du prix avant Angot : ce sont Michon, Echenoz, Jauffret, Haenel, Énard ou Toussaint. Et qui ne plaira pas non plus à Guy Duplat qui, dans La Libre Belgique (Bruxelles encore), rend compte de façon sensible et informée d’Un impossible amour.
Christine Angot, Un amour impossible, Flammarion, 216 p., 18 €, 14 € 99 en version numérique