Non, ne vous moquez pas. Vous avez toutes et tous un jour fredonné Call Me Maybe dans la rue sur vos lecteurs MP3 en simulant le téléphone avec votre main, provoquant peut-être quelques sourires auprès des passants ayant croisé votre chemin — oui, c’est du vécu. Avouez également ! Le produit Carly Rae Jepsen a le mérite de poser au moins une question : comment un artiste peut il poursuivre sa carrière après un tube aussi écrasant et omniprésent que Call Me Maybe ?
Pour la protégée de Justin Bieber, issue d’un télé crochet canadien, le succès planétaire du titre a malheureusement éclipsé les titres suivants – dont le génial This Kiss — issus du même album, disque l’on n’avait de toute façon pas trop écouté pour des raisons évidentes : la blague avait assez duré. Épuisées par son Hey, I just met you, les radios s’étaient déjà lassées d’une poupée un peu trop propre sur elle et dont on sentait bien que l’émancipation sexuelle et provocante — étape presque obligatoire pour durer dans le créneau surchargé des chanteuses pour teenagers (Britney, Rihanna, Miley etc.) — n’arrivera jamais.
Il ne lui reste donc plus qu’à faire de la très bonne musique pour sortir du lot et tenter de reconquérir un public et repousser sa date de péremption. Et le paquet a été mis, malgré une promotion calamiteuse orchestrée par une maison de disques qui ne semble plus y croire : single trop proche du tube qui l’a fait connaître pour marquer l’évolution, sorties internationales de l’album décalées — la sortie européenne a eu lieu plusieurs semaines après le reste du monde, laissant bien le temps à tout le monde de télécharger illégalement le disque… et de découvrir qu’il est très bon, peut être même le meilleur album de pop sucrée de cette année 2015.
Les blogs musicaux sont dithyrambiques. Le crème de la production indie branchée est au rendez vous (attention name dropping) : Blood Orange sur All that, (ballade aux sonorités 80’s entre le Crazy for you de Madonna et le Time After Time de Cindy Lauper), Rostam Batmanglij des new-yorkais Vampire Week end sur Warm Blood qui lorgne du côté de Chrvrches. Les hipsters musicaux jouissent. Même Sia, dont on ne compte plus les collaborations qui nous insupportent, réussit à se renouveler dans l’écriture sur Making the Most of the Night, qui évoque les sœurs Haim. La crème de la « branchitude » 2015. Malheureusement, je ne pas sûr que les avertis assumeront d’apprécier l’album au point d’aller la voir en concert. Et pour le moment, les ventes le prouvent, le grand public semble peu enclin à porter son attention sur une artiste qui ne provoque aucun scandale, aussi douteux soit-il. Carly qui avoue être inspirée entre autres par des artistes de la stature de sa compatriote Joni Mitchell va devoir encore travailler pour durer et trouver sa voie.
En tout cas, faute d’obtenir l’immortalité radiophonique et pour prouver que E.mo.tion est bien un produit contemporain, la réalisation du clip Your Type, sa nouvelle chanson, a été confiée à une (future) star du ciné indé US, Gia Coppola (petite fille de Francis et nièce de Sofia), déjà responsable d’un long métrage en 2013, Palo Alto (habillé musicalement par Blood Orange : il n’y a pas de hasard). Et là encore, c’est très chic.
Allez, t’inquiète Carly, si tu viens en concert par ici, moi j’assumerai.
Extrait de E.mo.tion, Carly Rae Jepsen, 604 Records / Universal