Le titre est trompeur : ces Fictitious Dishes — An Album of Literature’s Most Memorable Meals — sont moins des plats fictifs que des recettes d’abord romanesques devenues photographies. Titre trompeur mais parfait pour introduire à la nouvelle rubrique « Books & Cook » de Diacritik et sa première recette, le poulet « mole ».
Des plats fictifs, Dinah Fried en a glané cinquante, du sandwich de L’Attrape-cœurs à l’inévitable madeleine de Proust, du plus appétissant au plus dégoûtant (La Métamorphose de Kafka), du plus féérique (Gatsby) au plus terre à terre (Oliver Twist et son pauvre « gruau clair »). Une anthologie à la fois littéraire et culinaire, avec site dédié, éditée chez Harper Collins. Le livre ne propose pas directement de recettes, mais il est le prolongement poétique et photographique des textes cités. Un double appel à l’imaginaire, en somme. Né du souvenir d’une lecture de Heidi, enfant, avec encore dans la bouche le goût du « golden, cheesy toast » que mange Heidi… Assiette et livre, goût de la lecture…
Deux exemples, en guise d’apéritif à votre éventuelle lecture du livre : le premier est tiré de La Cloche de détresse de Sylvia Plath : « Then I tackled the avocado and crabmeat salad… Every Sunday my grandfather used to bring me an avocado pear hidden at the bottom of his briefcase under six soiled shirts and the Sunday comic » (L’avocat est mon fruit préféré. Tous les dimanches, mon grand-père m’en rapportait un, caché au fond de sa valise sous six chemises sales et ses bandes dessinées dominicales. Il m’a appris à manger les avocats en remplissant le creux avec un mélange de gelée de raisin et de sauce française). Le second est signé Salinger dans L’Attrape-cœurs, « When I’m out somewhere, I generally just eat a Swiss cheese sandwich and a malted milk. It isn’t much, but you get quite a lot of vitamins in the malted milk » (Quand je sors, en général je prends simplement un sandwich au gruyère et un lait malté. Ce n’est pas grand chose, mais le lait malté est plein de vitamines). Dans le livre, on trouvera une autre idée de sandwich via L’homme qui n’aimait pas les femmes de Stieg Larsson.

À l’image de ces « plats fictifs », Diacritik proposera régulièrement des recettes issues de romans ou proposées par des écrivains. En ce dimanche, jour des nappes à carreaux et déjeuners de famille, le poulet « mole » d’Héctor Tobar.
À la toute fin du roman, alors que la tension est à son comble — une machination politico-médiatique contre Araceli, une bonne mexicaine accusée d’avoir enlevé les deux garçons d’une famille américaine en apparence irréprochable. De fait, les parents ont tous deux quitté la maison, sans donner de nouvelles et Araceli tente de trouver le grand-père des enfants. Et tous vont devenir les symboles d’une Amérique incapable de penser ses failles — Araceli, recueillie chez des amis en attente de son procès, dîne avec eux.
Octavio avait décidé de servir le plat le plus difficile que lui et sa femme savaient faire : le joyau de la cuisine mexicaine, une sauce tellement élaborée qu’il avait fait venir sa vieille tante de la vallée de San Fernando pour l’aider à la préparer. Du mole, le nectar au chocolat que les Aztèques servaient à leur empereur et à sa cour, étalé sur du blanc de poulet très tendre. « Nous avons passé quatre heures à localiser le natif d’Oaxaca qui aurait le meilleur mole du comté d’Irange, dit Octavio. Ces gens-là sont plus durs à trouver que des dealers ».
Ils s’assirent pour leur repas, et Octavio regarda Araceli avec des yeux plein d’espoir pendant qu’elle mangeait très lentement sa première bouchée. A la fin, elle déclara : « Espectacular. Comme du miel ».
Ingrédients
15 ml d’huile d’olive
Blancs de poulet
1/2 litre de bouillon de volaille.
2 gousses d’ail, émincées
oignons et poivrons vert et rouge, coupés en dés
1 boîte de tomates en dés
sauce épicée (tabasco ou toute autre sauce piquante à votre goût, comme pour la dose d’oignons du plat)
Trois cuillères à soupe de poudre de cacao
2 cuillères à café d’amandes émincées
et/ou selon les recettes cacahuètes
pincées de cumin, cannelle, clous de girofle en poudre
75 ml de jus d’orange (et deux cuillères à café de zeste d’orange)
sel et poivre
Préparation
Dans une grande poêle ou un wok, faire dorer le poulet dans l’huile d’olive. Ajouter ail, oignons, poivrons. Laisser mijoter. Ajouter le bouillon de volaille puis tomates, sauce piquante, cacao et épices, jus d’orange. Salez et poivrez, laisser cuire. Le plat est prêt quand la sauce a réduit de moitié.