Un livre un lieu : « Petit coin », Intérieur 4 (Thomas Clerc)

Thomas Clerc, Intérieur (Capture d'écran d'un reportage d'Arte)

Comme le peignoir (SALLE DE BAINS) ou Thomas Clerc, le lecteur « nomadise » et aborde une nouvelle contrée, les toilettes, autre pièce d’eau. Au fond du connu pour trouver du Nouveau, porter un regard autre sur le quotidien, les choses, le prosaïque. Et difficile de faire plus prosaïque que cette « pièce ou non-pièce » (1 m2).

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Capture d’écran Arte

Les « WC » (terme que Thomas Clerc n’emploie pas) sont la pièce la plus petite de l’appartement (son « petit coin ») mais aussi « la plus démocratique ». Elle a trois fonctions, uriner, déféquer, se branler même si le titre courant (« veuve poignet ») renvoie ironiquement à une tout autre activité (que je vous laisse découvrir dans le livre). Même carrelage que la salle de bains, même refus de l’ornement de mauvais goût. Tout est signifiant (« j’ai la faiblesse de croire à la puissance du signifiant », confessait Thomas Clerc, p. 70) : de la décoration spartiate — évitant l’écueil du « goût de chiottes » — au lustre « blanc/noir/orange », drapeau d’un « pays qui n’existe pas ». Dans cette Invitation au voyage, les toilettes elles-mêmes sont un embarcadère.

Signifiante aussi, l’étagère qui signe l’appartement intello : la pièce est salon de lecture avec sa « parabibliothèque de périssables » — conservés par amour de l’actualité « datée » —, magazines, revues, journaux. Plus complexe (sans doute signifiante mais l’interprétation demeure ouverte), une autre activité, répétitive, rythme du quotidien (et clin d’œil à Balzac ?) : « tous les après-midis je jette le fond de café » dans la cuvette, avec possibilité (non exploitée) de lire l’avenir dans le marc dispersé.

Capture d'écran d'un reportage d'Arte chez Thomas Clerc
Capture d’écran d’un reportage d’Arte chez Thomas Clerc

Notons que c’est étrangement aux toilettes que l’on croisera D’Annunzio et… Des Esseintes, mais aussi les plus attendues « latrines » de Théophile Gautier (dans sa préface à Mademoiselle de Maupin), manière de faire de ce « petit coin » un manifeste esthétique. Il n’est, en littérature, aucun lieu inutile. D’ailleurs, sur la face intérieure de la porte, une création personnelle (feuille d’alu et sorte de miroir sans reflet) renvoie à la question fondamentale :

« je fais de l’art ou de la merde ? ».

Capture d'écran d'un reportage d'Arte chez Thomas Clerc
Capture d’écran d’un reportage d’Arte chez Thomas Clerc

Thomas Clerc, Intérieur, Gallimard, « L’Arbalète », 400 p., 22 € 90 (16 € 99 en format numérique)