1Book1Day : Mythologies

Roland Barthes (Photo © DK depuis la couv. des Mythologies au Seuil)

Roland Barthes (1915-1980), un mythe. Un auteur immense, pas seulement pour son œuvre critique (monumentale, source extensive) mais aussi pour ses romans en creux, que l’on pense aux inédits chez Christian Bourgois, les Carnets du voyage en Chine, ou au Seuil, Le Journal de deuil, aux Fragments d’un discours amoureux, à la Chambre claire ou aux Mythologies. L’œuvre ne cesse, depuis la mort accidentelle de Roland Barthes, d’être déployée, commentée, rééditée (dont les magistrales Œuvres complètes sous la direction d’Éric Marty au Seuil toujours, son éditeur historique).

La parution des Mythologies, illustrées, au Seuil en 2010, dans la catégorie des « grands formats Beaux-Arts », en est le symbole. Le signe d’un travail d’édition, ample, précis, qui ne joue pas d’une « mode Barthes » mais vient dire la nécessité de (re)lire ou (re)découvrir cet auteur, quoi que ce dernier, avec Foucault, ait pu dire de cette figure de « l’auteur » et de sa mort, dans les années 70.

Alors pourquoi relire les Mythologies (1957) dans cette nouvelle édition qui coûte 39 € plutôt qu’en poche (Points « Essais », environ 4 €) ou dans le tome I des Œuvres Complètes, qui offre deux décennies de textes, 1942-1961, Le Degré zéro de l’écriture & Michelet, un appareil critique, et même quelques photos, (pour 23 €) ? D’abord, l’un n’empêche pas l’autre. « Barthophile » ou « barthofan » ou « barthoaddict », donc quelle que soit l’étiquette donc mauvais exemple sans doute, j’ai les trois dans ma bibliothèque, chacun répondant à un usage différent. L’un portatif (le poche), l’autre érudit (les OC), le dernier ludique, somptueux, concentré d’une époque et d’un style.

Reformulons donc la question : pourquoi relire les Mythologies dans cette édition illustrée ? D’abord parce que ces textes, composés entre 1954 et 1956, « chaque mois pendant deux ans », « au gré de l’actualité », publiés en 1957, renvoient pour beaucoup à des réalités oubliées, à un passé que nous sommes nombreux à ne pas avoir connu. Et que ce voyage dans le temps est soutenu par le travail iconographique du volume (dû à Jacqueline Guittard) : photographies, pubs d’époque, coupures de presse… Ceux même que commenta Barthes, devenus documents et ceux qu’il a sans doute eus sous les yeux. Un travail de reconstitution donc, de l’essence d’un texte.

Ensuite, parce que la lecture des Mythologies – sans doute l’un des textes les plus abordables de Barthes – était jusqu’ici assez peu « aérée », épaississant voire opacifiant des textes courts, conçus comme des séquences, des éclairages successifs d’une double idée phare, explicitée par Barthes dès la page liminaire, ce qu’il appelle les « deux gestes à l’origine de ce livre :

– « une critique idéologique portant sur le langage de la culture dite de masse »

– « un démontage sémiologique de ce langage ».

Parler de steak/frites, de la DS, des photos Harcourt, du Tour de France, c’est saisir, analyser et décrypter le contemporain, par 53 textes, 53 clichés d’une époque. Les illustrations rendent ce contemporain plus proche de nous, immédiatement visuel, sans distance.

Barthes, Mythologie (photographie du livre)

Dès 1970, lors de la réédition des Mythologies, Barthes soulignait ce paradoxe : un texte pour une part daté et pour l’autre atemporel puisque dans l’immédiateté de son contemporain.

« Le matériel de cette réflexion a pu être très varié (un article de presse, une photographie d’hebdomadaire, un film, un spectacle, une exposition), et le sujet très arbitraire : il s’agissait évidemment de mon actualité. » (Avant-Propos)

Ce que les lecteurs peuvent de nouveau saisir, via cette édition illustrée, invitation à un parcours vintage et pourtant toujours si actuel, de « L’écrivain en vacances » au Strip-tease en passant par le Guide bleu, la critique Ni-Ni, l’usager de la grève, l’homme-jet et tant d’autres bijoux indémodables. Des fragments de la France des années 50-60 qui disent tant de notre monde comme il va toujours.