Débarrassé de ses inhibitions premières, Paul a voulu se réconcilier avec le genre humain. Surtout le genre féminin singulier, car ne concevant finalement pas le pluriel dans ses relations avec le sexe opposé (réminiscence de ses échecs récents), il s’était résigné à vivre pleinement sa fastidieuse (mais confortable) propension naturelle à la monogamie. Il a tout de même pensé à aller acheter du plaisir.
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Séparé d’Alice, Paul a cru qu’il pourrait assouvir ses fantasmes. Encore fallait-il savoir lesquels. Ses fantasmes d’adolescent ? D’étudiant ? D’homme marié ? D’homme tout court ?
J’ai présenté Paul à Alice. Estimant qu’ils ont été à l’origine d’une grande partie de mon mal-être d’alors, quand leur mariage est tombé à l’eau, j’ai considéré que nous étions quittes.
La fac. J’y ai cultivé trois choses : mon ego, une certaine idée de l’épicurisme et une grande misère affective et sexuelle. Quatre en fait, les deux dernières n’étant pas forcément liées.
Autant j’étais sorti de l’adolescence avec un bonheur non dissimulé autant j’étais entré dans ma vie de jeune adulte avec une angoisse certaine. Lycéen prometteur, du moins aux dires de mes parents qui me voyaient passer le plus clair de mon temps enfermé dans mes livres ou griffonnant sur mes cahiers de textes successifs. J’écrivassais des poèmes malheureux. Je recopiais des paroles de chanteurs « à texte », je m’appropriais (et plagiais ou pastichais à l’occasion) les mots des autres pour exprimer l’ingratitude de mon âge. J’étais donc on ne peut plus normal : j’avais les envies d’un homme marié et les moyens d’un premier communiant.
Je pense à la phrase de Paul : « j’ai envie d’être un mec mieux que bien ». Je ne peux m’empêcher de sourire (intérieurement, cela-dit, pour ne pas le blesser). Qu’est-ce que c’est que cet aphorisme fatigué ? D’où lui est venue cette fulgurance sans relief ? Alors qu’il m’a jeté à la figure ses considérations déchirantes à grands renforts de figures de styles aplaties et de métaphores puissamment faibles sur notre âge commun, j’en viens à me demander soudain ce qui nous lie. Des traits de caractère semblables ? Des goûts similaires ?
Paul et moi avions décidé de nous retrouver en plein cœur de Paris, non loin de chez moi, dans ce bar où nous avions déjà passé une ou deux soirées à regarder des retransmissions sportives que nous aurions pu voir à domicile si nos épouses respectives avaient aimé le rugby féminin ou le Lingerie Bowl. Il m’avait appelé la veille, me proposant d’aller boire un verre. Pourquoi ? Pourquoi pas. C’était une raison suffisante. J’ai accepté.
Quand nous nous voyions encore, Paul et moi aimions parader dans les cocktails, aux arbres de Noël de nos entreprises ou dans les vernissages guindés fréquentés à parts égales par des amateurs d’art qui encensent les Mon Chéri™ géants de Jeff Koons et des pigistes affamés venus combler leur détresse culinaire.
Du 4 juillet à la fin août, Diacritik, renouant avec la tradition des livraisons romanesques en revues au XIXè siècle, vous propose un feuilleton estival, un roman écrit au quotidien, à raison d’une publication tous les deux jours en matinée : No(s) confidence(s).