Oui

© Jean-Philippe Cazier

Oui, aujourd’hui le ciel est vide

Aujourd’hui, ciel bleu comme la mer, vous avez vu ?

Soleil absent, le soleil est absent

Ciel vide, immense, comme la mer ou un désert

Aujourd’hui, le ciel est blanc comme un métal

Aujourd’hui, un désert est à la place du ciel

Aujourd’hui, le ciel est devenu le lieu vide du ciel

Un désert et des nuages et la pluie et le vent

L’image est bleue elle aussi

L’image est vide

L’image est une absence d’image, un désert sans image possible

L’image est un ciel de nuages et de vent

Ce qui veut dire que l’image, on ne la voit pas

L’image est un désert à la dimension du ciel

L’image est un désert à la dimension de la Terre tout entière

Un désert qui s’étend et envahit tout, vous avez vu ?

Ça a commencé il y a longtemps

C’était lorsque la Terre était déjà morte

C’était lorsque le monde était déjà mort

C’était lorsque le monde, déjà, recommençait

C’était lorsque le monde, déjà, était là, nulle part

Le monde serait mort un jour et un jour le monde recommencerait

Un monde ou un désert immense, vide, sans limites

Et des arbres déjà avaient commencé à sortir du sol, à sortir de la terre

Des arbres en fleurs au milieu des décombres

Des arbres avaient poussé à travers le béton

Des arbres avaient brisé le sol de béton et des herbes aussi, des fleurs fragiles à la surface des murs de ciment

Le monde était vide, sauf les arbres et les fleurs et les herbes, vous avez vu ?

Le ciel avait tout envahi

Le désert avait tout recouvert, c’est comme ça que tout avait commencé

Une extension du désert aux dimensions de l’univers entier

Et des arbres avaient poussé dans la mer

Des herbes étaient sorties du sable, des fleurs

Le désert avait recouvert la Terre

Le sable du désert avait recouvert le ciel

Les nuages étaient du sable, la mer était du sable

Une mer de cendre était le ciel

C’est comme ça que tout aurait commencé, dans la cendre

C’est comme ça que le monde aurait recommencé, avec la cendre et le ciel

Il y a eu Hiroshima

Il y a eu Auschwitz

En Algérie, l’armée française a torturé et massacré des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants

Il y a le peuple palestinien

Il y a l’histoire des vivants, l’histoire des morts

Il y a l’histoire des animaux et du ciel

Il y a l’histoire du désert, l’histoire des vivants et des morts

Une histoire écrite sur le sable, sur le ciel

Une histoire écrite sur la mer

Une histoire écrite sur les pierres, sur les murs

Les peuples ont écrit leur nom sur les murs

Chaque vivant a écrit son nom sur le sable, dans la terre

Chaque mort a écrit son nom et a effacé son nom

Le nom de chaque mort, c’est aujourd’hui les nuages et le ciel

Le nom de chaque mort, c’est aujourd’hui le vent, la pluie, les nuages

Quelqu’un a vécu et cela demeure

Quelqu’un est mort et cela demeure

Il n’y a plus de noms, il y a des traces

Il n’y a pas d’images, il y a des traces

Un aveuglement de l’image

Un exil de l’image

Un film qui n’existe pas