Ce dimanche 27 novembre, à La Pop, s’est achevé « Titanic, hélas », d’Yves-Noël Genod. Celui-ci y fait ses adieux : « Ce sont mes adieux ! J’espère vous faire pleurer. Je suis en pleine forme mais, depuis quelque temps, plus assez de commandes et surtout pas assez de public pour continuer », dit-il. La cinéaste Vivianne Perelmuter dessine dans ce texte une trace de ce spectacle, de ces adieux.
Comme, enfin non… Plutôt exactement l’inverse ou inversement pareil à une photographie délavée par le temps qui, tout en gardant la trace, montre l’effacement même, le spectacle de Yves-Noël Genod, « Titanic, hélas », tout en scellant l’adieu, la fin, dit la vie, créatrice et résistante, ne serait-ce que pour le dire, la fin d’un âge et l’âge de celui qui la dit, la vitalité de l’être-là, de cet être-là, sa persévérance à faire avec peu mais faire.
Quelques plaques déboîtées du sol de la péniche et voilà les blocs d’icebergs contre lesquels est venu se fracasser le paquebot, voilà un paysage mental qui est autant un souvenir collectif. Mais ici les icebergs sont noirs, et si cela tient à la réalité matérielle du lieu, sa réalité conjoncturelle, cela résonne forcément avec le changement climatique évoqué au cours du spectacle – une autre fin encore.
Faire avec peu, c’est aussi jouer justement de la configuration du lieu, de ses qualités physiques, métalliques pour dégager la résonance solennelle d’un geste – lorsqu’on ferme un hublot par exemple – ou celui de la voix lorsque, envoyée d’un certain côté, elle s’auréole d’un écho grandiose et terrifiant comme un tonnerre dans l’espace de la nuit.
Mais le solennel ici n’en rajoute pas, ne fait pas de chichi. Il s’accompagne d’une grande douceur et d’humour, et d’une simplicité de l’homme-acteur-metteur en scène qui commence par vous accueillir à votre arrivée, vous placer des fois, indiquer la direction des toilettes avant de commencer, car après c’est parti pour 1h40 de spectacle.
Puis, lui-même s’assied juste à côté, parmi le public, et les fulgurances viennent et cette magie singulière, si nue, comme un magicien œuvrant sans chapeau, sans lapin, sans baguette – oui, un spectacle sans accessoire, sinon un pupitre métallique squelettique et une tablette dessus.
C’est un corps, juste un petit corps, délié comme un fil, et la voix qui en sort, avec toutes ses inflexions, ses accents, sa manière de passer sans transition du langage parlé au langage écrit, de la citation à son commentaire. C’est un être, enfin disons une créature, qui se dilate aux dimensions de toutes ses vies possibles, pour être à la fin un enfant endormi par une chanson (la voix étonnamment douce et tenue de Aymen Bouchou), puis se relever du sommeil et rejoindre, dans un raccourci temporel halluciné, un corps vieux, une vieille dame, et marcher ensemble.
Il y a des images de rêve dans ce spectacle et l’une d’elles tient à la présence inclassable, stupéfiante de Mariella Monnie.
Il y a un cri dans ce spectacle alors que personne ne crie, c’est le cri d’une époque au-delà de celui de Yves Noël Genod, c’est celui de nos conditions de travail et de vie au-delà de la situation personnelle de YNG qui ne trouve plus de sous, de soutiens, de lieux pour travailler. De là, que ce spectacle est son dernier, au sens vraiment de dernier, qu’il y fait ses adieux.
C’est le cri d’un âge du monde, de la planète au-delà de celui de YGN.
J’ai entendu ce cri dans mon ventre.
Et pourtant…
Pourtant cet adieu soulève des rires, il est le contraire d’une prophétie auto-réalisatrice. Un exorcisme ? Un antidote. Un manifeste, dit-il.
« Titanic, hélas », mis en scène par Yves-Noël Genod, a été représenté à La Pop, du 25 au 27 novembre. Avec Aymen Bouchou, Mariella Monnie, Yves-Noël Genod.
