Il est difficile de détacher son regard d’une œuvre de Cécile Cornet. Tantôt attiré, tantôt révolté, le spectateur fait face à des scènes dont la force ne peut laisser indemne. Chacune de ses représentations est une explosion de sens et de couleurs, toutes ancrées dans des expériences intimes, qu’il s’agisse de souvenirs, de réminiscences ou de sentiments de révolte représentés par des objets devenus symboles. Chaque image est longuement pensée, imprégnée par la sensibilité d’une artiste soucieuse de mettre en lumière les inégalités sociales, entre féminisme et lutte des classes.

Rencontre avec la peinture
Enfant, le crayon à la main, Cécile Cornet dessinait toujours, inspirée par le monde qui l’entourait, par les princesses de dessins animés et par les clips de MTV des années 2000 – en somme, par son monde enfantin et adolescent. Elle décide de se tourner vers des études d’histoire, qu’elle poursuivra jusqu’à l’obtention d’un master en histoire du genre, et qui feront naître en elle une conscience des inégalités sociales ainsi qu’un amour pour la lecture et pour le discours sourcé. Sept ans après avoir abandonné ses projets artistiques, lors d’un atelier de peinture, l’évidence s’impose : elle vibre au contact de la toile, c’est bel et bien sa place. De cet évènement récréatif naît une véritable vocation, qui pousse l’artiste à abandonner ses projets annexes et à se consacrer à sa pratique autodidacte. Elle intègre alors l’école Kourtrajmé et apprend à mêler ses propres expériences à des enjeux politiques et sociaux plus généraux.
La peinture est pour elle un moyen d’expression central : chaque sentiment de révolte est fécond et, de ces émotions suscitées par un monde aux inégalités multiples, naissent des images aptes à transmettre un message politique. Séduit par les couleurs vives et attrayantes, le spectateur s’approche pour découvrir des scènes de souffrance ou des sujets douloureux (Auto trahison, 2021). Entre effroi et attrait, le regard est captivé. L’artiste joue avec cette ambivalence : « Vous seriez-vous approché de mon tableau si les couleurs étaient aussi sombres que le sujet ? », questionne-t-elle. Les codes publicitaires sont retravaillés pour mieux faire sentir l’écart entre la forme et le fond.

Le foyer, de l’intime au collectif
L’inscription directe de son discours dans le décor du foyer fait la force de la représentation. Derrière les portes de chacun se trouvent des mondes intimes, tapissés d’objets personnels qui forgent nos souvenirs et dont nous oublions souvent la portée politique. Cécile Cornet explore les réminiscences associées à ce qui compose les lieux dans lesquels elle a vécu. Les boîtes de conserve, la texture de la toile cirée qui recouvre la table de la cuisine, ou encore les motifs des foulards de sa grand-mère avec lesquels elle se déguisait enfant, sont autant d’éléments qui font les goûts, les images, les odeurs, les sensations d’une vie. Ces objets forment des natures mortes contemporaines, sorties du faste classique pour rejoindre le quotidien de millions de personnes qui peuvent y reconnaître leurs propres habitudes : « Si une petite fille qui a grandi dans le même milieu social que moi se rendait au musée et voyait sur un tableau des choses qu’elle a sur sa table, peut-être que cela l’aiderait mieux à comprendre sa place et à se sentir représentée. »
La représentation du foyer permet de mettre en lumière les inégalités qui le composent. Dans l’installation Dans le lit qu’elle fait il se couche, réalisée en 2020, un triptyque est présenté face à un lit défait et à deux tables de chevet dont on distingue aisément celle attribuée à la femme – couverte de papiers et d’une pilule – et celle de l’homme. La différence de charge mentale au sein du couple est ainsi présentée de manière directe, grâce à des objets que chacun retrouve chez soi, et à des toiles faisant écho tantôt à la cuisine, au ménage ou à la lessive. Ainsi, le déséquilibre visuel met le couple face à ses contradictions et témoigne d’un déséquilibre trop ancré dans la répartition des tâches entre les hommes et les femmes.
Représenter les femmes autrement
Cécile Cornet est de ces artistes qui décident de s’approprier l’image des corps féminins. Incarnées, vivantes, ces figures ne sont pas idéalisées et servent un regard militant. En effet, qu’il s’agisse d’aborder les violences domestiques (La cocotte, 2021), psychologiques ou gynécologiques (À l’assaut du ciel, 2020), les violences faites aux femmes sont représentées sous différentes formes, de manière singulière. Dans ces deux œuvres, l’effet dramatique est accentué par les jeux d’ombre, formant à la fois la figure monstrueuse du gynécologue et la correspondance terrible entre l’ombre du corps et celle de la cocotte-minute. Sans cri ni larme, sans expression, le lourd poids du silence de ces scènes traumatiques est mis en lumière de manière spectaculaire.

Ailleurs, la figure féminine prend une forme active et créatrice. Dans le triptyque Dibutadès (2021), l’artiste fait écho au mythe qui retrace la naissance de la peinture pour inverser les rôles traditionnels et faire de l’homme un muse. À travers des couleurs vives, nous retrouvons l’importance de l’ombre comme origine de la représentation et comme fil conducteur présent dans de nombreuses œuvres de l’artiste. Ainsi, la figure de la femme artiste est mise à l’honneur. Si la représentation des femmes est centrale pour Cécile Cornet, c’est aussi parce qu’elle tient ses engagements de sa mère, trapéziste dès l’âge de 14 ans, à la personnalité engagée et créative. Elle dit, en effet, ce que cette figure hors des codes, sensible et révoltée a d’inspirant. Si elle est avant tout un soutien fort, elle est aussi celle qui fut de toutes les batailles et qui a dû faire face à une société misogyne et inégalitaire pour garantir un avenir à son enfant. C’est à cette femme protectrice, aimante, sensible et féministe que Cécile Cornet veut rendre hommage à travers des œuvres qui témoignent de leur vécu commun mais aussi de la révolte, de l’amour et du désir de liberté qu’elle lui a transmis.
Cécile Cornet est une artiste aux engagements marqués. Toujours soucieuse de sa légitimité à aborder un sujet, elle prend soin d’ancrer les représentations dans ses expériences et dans des lectures choisies pour ne jamais tomber dans l’inapproprié ou dans les écueils de l’histoire de la peinture. Elle s’attaque avec force à la question du genre et des luttes de classe, en gardant un œil esthétique et libre.



