Je voterai Ali

Ali © Olivier Steiner

Bien sûr il y a des fascistes, des racistes, des xéno en tout genre, des gens qui ont peur et font peur, mais je crois que la tentation Le Pen a désormais changé de nom… Il n’y a plus vraiment de tentation Marine Le Pen, je veux dire qu’il y a peu d’adhésion avec elle et ses idées, ou une adhésion molle, fatiguée, un glissement. Une sorte de fuite des événements, une sorte de grand manque national de sérotonine. C’est que les gens s’ennuient, ils crèvent d’ennui au fond, ils étouffent, politiquement ils meurent à petit feu. Après tout sous l’ère Macron on ne leur offre qu’algorithmes, Amazon, mots de passe, identifiants, chaînes d’informations en boucle, Netflix, Canal… Les gens se sentent dépossédés et ils ne savent pas de quoi, de leur puissance je dirais. Puissance effective ou pas, peu importe, l’impression est la même. Si les mots de Le Pen tuent, le silence sous Macron torture. Alors les gens, ils se disent, consciemment ou pas, plus de torture, viva la muerte, que ça saigne ! Peut-être que ça fera circuler le sang démocratique ? Posture éminemment romantique : « Plutôt la barbarie que l’ennui », proclamait déjà Théophile Gautier. Les gens veulent une saignée comme sur un corps malade. C’est ça je crois la menace Le Pen en 2022, un élan vital qui se dirait par la mort, essayer le pire, fermer les yeux et laisser le pire venir, pour voir. Comme ça, pour voir que ça fait pendant cinq ans. Les yeux fermés. Le film qui dirait le mieux cette période d’entre-deux tours, ce serait Elephant de Gus Van Sant. Une certaine beauté du désespoir. Une certaine attente. Un passage à l’acte. L’horreur d’un carnage.

Ali © Olivier Steiner

Je suis moi aussi « les gens », j’ai moi aussi cette même rage romantique, ce ras-le-bol de tout, cette tentation du pire. Mais si Le Pen passe, je souffrirai, mais bien moins qu’Ali, jeune homosexuel pakistanais, joli comme tout, tout joyeux, intelligent, gentil… Ali est d’origine afghane mais sa famille s’est installée au Pakistan, il est passé par l’Allemagne et parle allemand, un peu d’anglais. Je ne sais pas comment il est arrivé en France, il n’a toujours pas ses papiers, je ne comprends pas tout de ce qu’il me raconte, il vit dans un hôtel à migrants, il fait quelques travaux au noir, il fait aussi l’escort. Je l’ai connu un soir aux Tuileries, il m’a proposé des clopes de contrebande, j’ai acheté un paquet de LM… nous avons parlé. En Allemagne il a travaillé comme cariste, très très fatigant, dit-il. Il faisait trente kilomètres pour travailler deux heures par ci, deux heures par là. À part ça, il rit beaucoup, ça rit beaucoup quand il parle. Je ne sais pas comment il fait. Il dit qu’ici il n’y a aucune bombe qui saute. Il dit que c’est le paradis. Je lui demande quels sont ses rêves, il dit qu’il rêverait d’apprendre la psychologie, avec ces trucs du sexe qu’il fait et qu’on lui fait faire, des choses folles parfois, il m’explique que la psychologie des gens est ce qui l’intéresse le plus désormais. Nous sommes devenus amis, hier parce qu’il était dehors depuis deux jours je l’ai logé dans un hôtel près de la place de la République, mais il avait mal compris, il est allé place de la République à Montreuil, il était minuit passé, il est revenu à pieds, trois heures plus tard. Vers trois heures du matin nous nous sommes retrouvés sous la statue de la place de la République à Paris. Le symbole était beau, ils étaient beaux Marianne et Ali, je crois que Marianne avait même un petit crush. J’ai pris une photo. Ils feront de beaux enfants, s’ils en ont. Je voterai Macron pour Ali. Non, je ne voterai pas Macron, je voterai Ali.

Max Weber : « La politique c’est l’art des conséquences, c’est l’éthique de la responsabilité ».