« Mr Biswas prit son petit déjeuner : des biscuits extraits de la grande caisse noire, du beurre rance, du thé tiède, sucré et fort. Shama, quoique indignée, se montrait fidèle à ses devoirs et correcte. À mesure qu’elle le regardait manger, son indignation se muait de plus en plus en un réflexe de défense. À la fin, elle était simplement grave.
« Tu as déjà vu Maï ? »
Il comprit.
Ils allèrent à la chambre rose. Sushila les fit entrer et sortir aussitôt. Une lampe à pétrole voilée brûlait d’une flamme amortie. La fenêtre à jalousie du mur de briques était à présent close, interceptant la lumière du jour. Autour du chambranle, des bourrelets d’étoffe la calfeutraient, pour éviter les courants d’air. Une odeur d’ammoniaque, de tafia de laurier, de rhum, d’eau-de-vie, de désinfectant planait dans l’air. Il y avait un assortiment de fébrifuges. Sous un baldaquin blanc aux appliques à ampoules rouges, Mrs Tulsi gisait, à peine reconnaissable, une compresse autour du front, les tempes parsemées de mottes de cire molle, les narines bourrées d’une pommade blanche.
Shama s’assit sur une chaise, dans un coin obscur, et s’effaça.
Sur la table de chevet à dessus de marbre s’entassait un fouillis de flacons, de récipients et de verres : grandes bouteilles vertes de tafia de laurier, flacons carrés de gouttes pour les yeux et le nez ; une bouteille de rhum ronde, une bouteille d’eau-de-vie plate et une bouteille ovale bleue de sels ; une bouteille de Liniment Sloan et une minuscule boîte de Baume du Tigre ; un mélange à sédiment rose, un autre à sédiment jaune-brun, semblable à une eau vaseuse qui stagnerait depuis la nuit précédente.
Mr Biswas n’aurait pas voulu adresser la parole en hindoustani à Mrs Tulsi mais les mots hindoustanis lui sortirent des lèvres : « Comment allez-vous, Maï ? Je n’ai pu venir vous voir hier soir, il était trop tard et je craignais de vous déranger. » Il n’avait pas eu l’intention de donner des explications. « Et vous, comment allez-vous ? » demanda Mrs Tusli d’une voix nasale, avec une tendresse imprévue. « Je suis une vieille femme et peu importe ma santé. » »
V.S Naipaul, Une maison pour Monsieur Biswas, traduit de l’anglais (Trinidad-et-Tobago) par Louise Servicen, Gallimard, coll. L’imaginaire, 1965, pages 194-195.
