Gaëtan Brulotte se présente comme « écriveur ». Rien à voir avec « l’écrivant » de Roland Barthes (lequel dirigea sa thèse de doctorat, Aspects du texte érotique, à l‘EHESS). C’est plutôt une manière à la fois modeste et orgueilleuse, voire québécoise, d’exprimer sa passion pour l’écriture et la lecture.
Passion qu’on perçoit avec netteté dans Nulle part qu’en haut désir.
« Pour moi, l’écrivain est idéalement insituable, inactuel, intraitable, libre, loin des écoles, des embrigadements, des orthodoxies, étranger à toute sangle doctrinale. » Quelqu’un qui place ses réflexions sur « la littérature » sous de tels auspices ne peut pas laisser indifférent. Nulle part qu’en haut désir est en effet un livre réjouissant. Même si l’on n’est pas obligé de s’ébahir devant chacune de ses considérations ou généralités ni d’en épouser tous les points de vue. Cela n’a d’ailleurs pas grande importance. Car ce qui emporte ici, bien plus que les dilections ou les distances à l’égard de tel ou tel supposé courant littéraire, qu’on pourra toujours discuter, c’est une foi énergique et sans raideur dogmatique envers la « littérature » et, en particulier, la nouvelle, cette mal aimée du public francophone, et dont l’auteur est un praticien et défenseur averti.
« Pour moi, écrit Gaëtan Brulotte, les formes brèves en général sont une manière de défiance, si modeste soit-elle, contre les Grands Récits du Pouvoir qui cherchent à nous endoctriner, à nous enrégimenter dans leurs projets moutonniers, à nous enrôler dans leur horde de suiveurs décervelés. »
La « réussite » d’une nouvelle (et sans doute de tout écrit littéraire) réside, suggère l’auteur, dans une « idiorythmie » (Barthes), dans l’adéquation du tempo, lenteur ou rapidité, à la forme de subjectivation qu’on désire capter et faire ressentir. La question du rythme est, pour Brulotte, fondamentale. « Le rythme est à la base de tout, de la naissance du feu par frottement au va-et-vient sexuel, en passant par la maîtrise du temps qui scande notre vie ; de notre dualité morale foncière (amour de soi/amour d’autrui) et des grands rythmes cosmiques qui déterminent la succession des jours et des nuits ».
La question du rythme épouse celle du « style ». Sur ce plan, Gaëtan Brulotte dit rejoindre les vues de Marielle Macé, par exemple, qui propose la « construction critique d’une véritable stylistique de l’existence. » Rejetant à la fois les stéréotypes de l’ « écriture blanche » et ceux de la vulgate trash, qui, selon lui, constituent les deux pôles convenus de la fiction francophone depuis au moins cinquante ans, prenant ses distances par rapport aux oukases et aux déterminismes, il tient que « Le style ne correspond pas mécaniquement à une performance identitaire de la part d’un moi arrogant qui s’affiche en (dé)classant les autres ou à un niveau langagier de mandarins qu’on répéterait par orthodoxie ». On ne peut que le suivre sur ce point.
Gaëtan Brulotte, sous l’égide de cette profession de foi, et la constatation de Sartre dans Les Mots selon laquelle : « On parle dans sa propre langue, on écrit en langue étrangère. », s’attache à retracer – de manière un peu didactique par moments mais sans entacher l’agrément global de lecture -, son itinéraire au cours de quatre décennies d’enseignement, de réflexion et d’écriture. Le soin minutieux qu’il y apporte s’arme de générosité égotiste (il est écrivain) et de souci « pédagogique » (il fut professeur des Universités). Le tout forme un témoignage sincère, exempt de ressentiment et de pulsions vindicatives, émouvant et stimulant, de son exil constant (francophone du Québec, Nouveau Mexique, Floride, Californie, France), en même temps qu’un plaidoyer sans illusions pour cette manière d’être qu’est l’existence avec la littérature, art suprême de la nuance.
« La littérature, c’est ma manière d’être là et un examen de cette manière. C’est un instrument de lucidité, de vigilance poétique, par lequel ma conscience me rappelle qu’elle n’est pas à l’extérieur des phénomènes observés et que moi, l’observateur, j’en fais aussi partie. » précise-t-il.
Moralité : vive le Québécois libre.
Gaëtan Brulotte, Nulle part qu’en haut désir, Lévesque éditeur, collection « Carnets d’écrivains », avril 2021, 192 p., 18 €