Lectures transversales 33: Khosraw Mani, Une petite vie 

© Julien de Kerviler

« Ici, c’est le café. Dès que tu as franchi sa porte basse, il faut traverser le petit couloir et tourner à gauche ou à droite. Imagine maintenant que tu as tourné à gauche. À partir de l’endroit où tu te trouves, la première chose que tu vois, ce sont quelques tables. Une autour de laquelle deux hommes sont assis. Puis une autre, à côté de la première, avec un homme et deux femmes. Tu vois également l’homme, tu vois même que ses joues sont rouges. Tu ne te mêles pas de leurs affaires. Alors, tu continues et tu arrives à une autre table. Elle est vide. Aucune femme, aucun homme, ni même une rose rouge fanée oubliée. Tu la dépasses. Tu regardes par là, en direction de cette table. Tu vois le chapeau de paille posé sur le coin et la demi-bouteille de vodka. Tu ne vois pas tous les verres immédiatement. En face de toi, il y a quelqu’un qui, toutes les minutes, enlève puis remet ses lunettes et bouge. À côté de lui se trouve Ayâz. Il a des dents qui brillent s’il te sourit. Tu le dépasses lui aussi. Tu arrives à une table, dans le coin, là où se trouve un homme de haute stature. Tu vois sa cigarette. La cigarette est de couleur blanche avec un filtre jaune. Il te jette un regard, indifférent. Tu passes devant lui également et tu arrives à une autre table vide. De l’autre côté de la table, c’est le zinc. Tu ne vois pas le ventre de l’homme qui se trouve derrière le zinc. Tu ne vois que sa tête et sa poitrine flasque. Tu vois aussi les bouteilles derrière lui. Tu t’avances et tu t’approches de la table sur laquelle est posé le chapeau de paille. Tu as un sourire désabusé et tu t’assieds sur la chaise.

Tu dis qu’aucun vent ne souffle, mais que pour autant l’été n’en touche pas moins à sa fin.

Tu mets le chapeau de paille sur la tête.

Tout cela est bien réel. »

Khosraw Mani, Une petite vie (2014), traduit du dari par Khojesta Ebrahimi et Marie Vrinat-Nikolov, Éditions Intervalles, 2018, pp. 25-26.

© Julien de Kerviler