À Christine Angot

Christine Angot @ éditions Flammarion

Bonjour Christine,
Je ne suis pas sûr que ce papier te fasse plaisir (voir mon nom apparaître je veux dire) aussi je vais faire court.

Je viens de terminer Le voyage dans l’Est acheté hier chez Colette des Cahiers de Colette.
Lu presque d’une traite depuis 5 heures ce matin.
J’ai les yeux rougis. J’ai fumé presque un paquet de cigarettes.
Quelle force !
Quelle justesse !
Quelle cohérence !
Quelle intelligence !
Quelle finesse !

J’ai ouvert le livre avec une boule dans le ventre, j’ai commencé prudemment, avec une certaine réserve, la peur de réentendre ta voix, celle d' »un ami providentiel » par exemple, celui de La petite foule, et puis, non, plus de peur, ça ne compte plus, presque plus, j’ai été emporté, une telle incarnation dans les mots est un ravissement et un prodige.

Et Angot fit que la littérature était vivante et Dieu vit que cela était bon.

Je te souhaite le Goncourt !

Nous sommes fâchés, je sais, mais ton visage a changé, aussi je me permets ces quelques mots, cette « critique » qui n’en est pas une. Ton nouveau visage n’est pas dévasté comme disait Duras à propos du sien, mais il semble apaisé. Quelque chose semble apaisé. Tant mieux si tel est le cas. J’aime bien ce nouveau visage.

Cette lettre publique ne vise pas à renouer des liens, je parle d’un livre.

Et la lecture est une amitié.

Et certains livres sont comme des personnes.

Je pense que je ne suis pas prêt de revenir de ce Voyage dans l’Est, dont je ne veux pas parler comme un critique littéraire que je ne suis pas. Je ne veux pas entrer dans la « chose ». Je dis seulement ce qu’elle m’a fait. Non pas du bien, quelle bêtise ce serait de parler de « bien », elle m’a…. je ne sais pas… redonné des forces ? Quand on comprend c’est mieux. Je ne sais pas. Et puis, de toute façon, « la chose » reste invisible et Duras l’écrivait déjà en 81 dans sa pièce Agatha : « Il semblerait que le sentiment ne soit pas représentable, ni dans son apparence, ni dans sa conséquence du désir. L’inceste de même mais au plus haut degré est ce qui ne peut pas être représenté ni dans son apparence ni dans sa conséquence du désir, ni dans son principe, ni dans son savoir, ni dans sa connaissance. L’inceste est invisible. »

Tu fais voir cette invisibilité, on voit très bien mais le caractère invisible de la chose est maintenu. Il y a « main » dans maintenir, la main qui écrit, et il y a « tenir », la personne qui tient, qui tient bon.

Bientôt on parlera du « Voyage » à propos d’Angot, comme on dit « la Solitude » à propos de Koltès ou Chéreau.

Bien à toi, Olivier