Christo et Jeanne-Claude: Place de la toile

Christophe Verdon, artiste "plaqueticien" a emballé la plaque de la Place Charles de Gaulle en hommage à Christo et Jeanne-Claude. Photo © Christine Marcandier

L’œuvre posthume de Christo et Jeanne-Claude, L’Arc de triomphe emballé (wrapped), projet artistique datant des années 60, est désormais achevée, et visible jusqu’au 3 octobre 2021, place Charles de Gaulle, devenue Place de la toile ou Place Christo et Jeanne-Claude pour l’artiste « plaqueticien » Christophe Verdon.

© Dominique Bry

Rarement une œuvre aura fait couler autant d’encre (principalement numérique), prouvant, si besoin, combien le projet des deux artistes est contemporain, commentaire du présent dans sa réalisation comme dans les réactions suscitées. De la droite extrême à la droite dure, des défenseurs d’une franchouillerie étriquée aux défenseurs aveugles de causes déviées, on aura tout lu : tout fut vérité alternative et fake news, avec en tête de liste les supposés millions de nos impôts dévoyés (faux : l’œuvre est financée exclusivement par la succession des artistes), la profanation de la tombe du soldat inconnu (Faux : la flamme est là). On passera sur la bêtise insigne de nombre d’autres commentaires, allant du nouveau critique d’art autoproclamé depuis son estrade Twitter aux politologues de comptoir ne ratant jamais une occasion d’en rater une.

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Quelques minutes passées au pied du monument national suffisent à en remontrer à ces détracteurs prompts à défendre un roman national qui n’existe que dans leurs cerveaux corsetés. Les commentaires des badauds, touristes, amateurs d’art ou non et simples curieux sont formels : « c’est beau », « c’est étonnant, c’est grandiose », « je n’imaginais pas ça comme ça », « en fait ça a de la gueule »… Des commentaires dans toutes les langues, des onomatopées aussi quand les mots manquent.

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Le dispositif déployé autour de l’Arc de triomphe, avec ces 300 gilets bleus qui distribuent un carré de toile, expliquent, renseignent, répondent aux questions permet de faire le lien entre le public et la prouesse technique. Laissant au spectateur la possibilité de contempler, de photographier, gratuitement et librement, se faisant sa propre opinion de la performance artistique au lieu de suivre aveuglément les avis pré-digérés des contempteurs qui ne sont même pas déplacés. La place retrouve sa fonction première (et piétonnière) : elle est agora, lieu d’échanges, expérience renouvelée de la ville, avec ce regard retrouvé sur un monument que l’on ne voyait plus ou voyait mal. L’indifférence n’a plus cours, l’Arc de triomphe se voit doublement re-visibilisé — par son empaquetage puis par le geste inverse, qui consistera à le redécouvrir, le 4 octobre prochain.

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L’œuvre est là, préparée durant 60 ans, imaginée par deux artistes de 27 ans, rêvée, enfin concrétisée. Elle est prouesse technique et artistique, elle est une forme d’évidence magnétique — ce magnétisme qu’André Breton, dans Nadja, reconnaissait à un autre Arc de triomphe dans un quartier populaire… donc simple porte… « la très belle et inutile Porte Saint-Denis » — un bruissement d’échanges, d’interactions renouvelées avec un espace quasi autoroutier abandonné aux cérémonies officielles.

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Les 25000 m2 de tissu argenté re-créent un monument qui varie avec la lumière du jour, devient encore tout autre la nuit, a de loin la souplesse labile de la toile et de près la dureté de la pierre. En plan large, on croirait un dessin, sur-réel dans le cadre urbain. Christo l’a dit « le tissu est comme une seconde peau. Même lorsque j’obstrue la vue normale des choses, je crée un phénomène qui invite à regarder. Utiliser du tissu, n’est pas comme construire un mur de brique, intimidant ou arrogant par nature. Le tissu est un médium sensuel qui nous incite à regarder au-delà de lui-même » (L’Arc de Triomphe, Wrapped, Paris, 1961-2021, éditions Taschen, 2021).

À la fois sculpture et œuvre éphémère (et entièrement recyclable), à jamais imprimé dans nos rétines et nos souvenirs, cet Arc signe aussi l’œuvre d’un couple, il fait le lien avec leurs projets urbains, leurs œuvres parisiennes antérieures (Le Rideau de fer, rue Visconti en 1962, l’empaquetage du Pont-Neuf en 1985). Si Christo, après la mort de Jeanne-Claude, a relancé le projet « Arc de Triomphe, Wrapped » en 2017, c’est son neveu et bras droit, Vladimir Yavachev qui l’aura achevé. De sa conception à sa réalisation, cette œuvre défie le temps, elle est une expérience collective et un partage de compétences comme de talents. Elle est la liberté même, selon le vœu de Christo et Jeanne-Claude : « Personne ne peut acheter ces œuvres, personne ne peut les posséder ou les commercialiser (…) Notre travail parle de liberté » (Christo et Jeanne-Claude en/hors atelier, L’Arche éditeur, 2015).

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Pour accompagner l’évènement, deux livres essentiels :
L’Arc de Triomphe, Wrapped, Paris, 1961-2021, éditions Taschen, 2021, 96 p., 20 €
Christo et Jeanne-Claude en/hors atelier, L’Arche éditeur, 2015, 322 p., 49 € 50.
et Christo et Jeanne-Claude, Barils/Barrels, L’Arche éditeur, 2016 pour (re)découvrir un travail artistique fondateur des artistes, à partir des barils de pétrole.