En Thérapie, la série à succès sur Arte, a été une compagnie agréable en ces soirées de couvre-feu mais ne m’a pas laissée sans un important malaise et un besoin de le partager.
Librement adaptée de la série israélienne BeTipul, En Thérapie nous emmène en plein Paris dans un contexte post-Bataclan. Ce retour est une idée intéressante, ces événements méritent un premier bilan psy quelques années après le traumatisme général. A la réalisation d’Olivier Nakache et Eric Toledano, à qui l’on doit des films à succès (Intouchables, Le sens de la fête…), ajoutons une distribution de premier choix et un scénario solide et captivant développé par David Elkaïm, Vincent Poymiro (créateurs de la série Ainsi soient-ils), secondés par Pauline Guéna, Alexandre Manneville et Nacim Mehtar. Dans le cabinet du Dr Philippe Dayan, une chirurgienne (Mélanie Thierry), un agent du Raid (Reda Kateb), une jeune championne de natation (Céleste Brunquell) et un couple dysfonctionnel (Clémence Poesy et Pio Marmai) viennent déposer leur traumas, névroses et questions existentielles, et le Dr Dayan en fait de même dans les épisodes consacrés à ses rendez-vous avec le psy du psy (Carole Bouquet).
Quand on est un habitué de ces entretiens sur le divan, on ne peut que rester perplexe quant à l’authenticité du travail psychanalytique porté à l’écran. Le débat s’est ouvert sur la pertinence et le réalisme de ces séances. C’est un point important, mais il reste secondaire au moment du visionnage tant nous sommes saisis par le scénario. Et ce n’est pas ici mon propos. Ce qui m’a profondément dérangée dans cette série est le traitement de la sexualité féminine.
Alors que les mouvements à l’encontre des violences sexuelles sont présents dans les médias et semblent préoccuper les politiques (dont les réactions hallucinées face à l’évidence sont d’un exaspérant sans nom), la caricature de la sexualité féminine est sidérante dans En Thérapie, jusqu’à trouver prétextes aux odieuses attitudes masculines que nous tentons vainement de dénoncer. Aucune des trois patientes n’échappe à une sexualité déviante et hystérisée, dévoilée sans pudeur face au regard d’un Dr Dayan dans lequel on lit surtout les fantasmes du mâle.
Ariane, la jeune chirurgienne, drague ouvertement le psychologue, prenant des poses lascives, les yeux mi-clos, lui avouant son amour tout en lui décrivant son hypersexualité dans les moindres détails. Il est certes intéressant d’aborder le fameux transfert, sauf qu’ici, le Dr Dayan finit par céder à la jeune femme, donnant à la série une fin non seulement inutile mais mal amenée. De plus, je crois que les réponses positives aux avances de patient-e-s sont très rares, du moins trop rares pour que l’attitude réciproque du psy puisse être ici banalisée. Autre passage très problématique : quand la jeune femme raconte sa première expérience avec un ami de son père, expliquant qu’elle se sentait – à 14 ans – enfin « femme » en couchant avec un type de 40 ans. C’est peut-être une réalité mais c’est davantage un fantasme masculin, et les patientes suivantes en rajoutent des couches… Ainsi, la deuxième, Camille, une jeune fille de 16 ans, championne de natation : nous réalisons assez vite qu’elle entretient une relation avec son entraineur, homme marié et père de famille. Elle répète que c’est elle qui le voulait. On peut s’interroger sur le consentement mais là leur relation est banalisée, jeune fille amoureuse de son père – odieux personnage – elle raconte aussi une expérience avec un garçon de son âge dans une froideur que je trouve effrayante pour une sexualité naissante. Encore une qui a une première expérience adolescente avec un homme plus âgé, encore une proie des mâles de son entourage et qui semble au fond y trouver son compte. Enfin Éléonore, caricature de working girl en thérapie de couple, elle aussi amoureuse de son père, qui ne jouit que dans la violence et les rapports de force, et finit, elle aussi par allumer le Docteur Dayan dans un ridicule jeu de séduction.

Pour changer un peu tout ça, il y a le patient Adel, interprété par Reda Kateb, convaincant dans un rôle revisité du Joey Starr de Polisse, en plein symptôme post traumatique après avoir été en première ligne au Bataclan. Il aborde ses problèmes avec son père – l’image du père revient sans cesse, les mères sont soit haïes soit mortes. Son discours sur les femmes démontre un rapport médiocre à la gent féminine : infidèle, il parle de ses conquêtes comme d’objets (un « avion de chasse ») puis se montre faussement choqué face à l’hypersexualité de sa conquête. En somme seuls les hommes ont droit à une sexualité assumée, celle des femmes est caricaturale, voire choquante. Ces patientes sont toutes hyper érotisées, prises dans des déviances sexuelles plus proches du fantasme masculin que de la réalité, elles s’offrent au mâle, ici à leur psy bien plus âgé et sans complexe. C’est une réalité, sans nul doute, mais trop rare pour qu’elle soit ainsi proposée et traitée en tant modèle de la relation psy/patiente. Plus largement la « femme » semble n’attendre que le désir et l’approbation de sa séduction dans le regard du mâle (reconnaissons avoir majoritairement été élevées de la sorte).
Des personnages féminins échappent à la caricature, mais forcément elles ont toutes dépassé la quarantaine. Carole Bouquet est un personnage attachant mais vieillissante, donc seule, donc sans sexualité, elle pleure son mari mort dont elle acceptait les infidélités avec ses jeunes disciples. Elle a refusé pour sa part, dans la vertu de son métier, de céder à un patient amoureux, à la grande différence du Dr Dayan dont le propre père avait déjà abandonné sa mère pour une patiente juvénile. Et la femme de ce dernier est évidemment la parfaite épouse bourgeoise, au physique avantageux, de toute évidence plus jeune que lui. Elle avoue une infidélité à son prestigieux mari mais elle revient, dévouée, suppliant de sauver leur précieux mariage. Enfin, parmi ce lot de femmes vieillissantes, on trouve le personnage touchante de la mère de la nageuse, méprisée par sa fille, larguée par son mari pour une femme plus jeune (encore !) et pour qui le célibat pèse lourd. Passée la bonne trentaine, on est donc en date de péremption. On n’a plus qu’à attendre que notre conjoint se tire avec une femme plus jeune, que l’hypersexualité cachée se dévoile, et ensuite on pourra aller tous ensemble chialer chez le psy.
